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ils trouvaient la forme trop négligée ; bardes et conteurs, d’un autre côté, paraissent avoir eu très peu de rapports avec le clergé, et on serait parfois tenté de supposer qu’ils ignorent l’existence du christianisme. À notre avis, c’est dans les Mabinogion qu’il faut chercher la véritable expression du génie celtique, et il est surprenant qu’une aussi curieuse littérature, source de presque toutes les créations romanesques de l’Europe, soit restée inconnue jusqu’à nos jours : la cause en doit être attribuée sans doute à l’état de dispersion où étaient les manuscrits gallois, poursuivis jusqu’au dernier siècle par les Anglais comme des livres séditieux, compromettant ceux qui les possédaient, et trop souvent aussi égarés entre les mains de propriétaires ignorans, dont le caprice ou la mauvaise volonté suffisait pour les soustraire aux recherches de la critique.

Les Mabinogion nous ont été conservés dans deux principaux manuscrits, l’un du xiiie siècle, de la bibliothèque d’Hengurt, appartenant à la famille Vaughan ; l’autre, du XIVe, connu sous le nom de Livre rouge d’Hergest et maintenant au collège de Jésus à Oxford. C’est sans doute une collection semblable qui charma à la Tour de Londres les ennuis du malheureux Léolin, et fut brûlée, après sa condamnation, avec les autres livres gallois qui avaient été les compagnons de sa captivité. Lady Charlotte Guest a fait son édition sur le manuscrit d’Oxford : on ne peut assez regretter que des considérations mesquines lui aient fait refuser l’usage du premier manuscrit, dont le second paraît n’être qu’une copie. Les regrets redoublent, quand on sait que plusieurs textes gallois, qui ont été vus et copiés il y a cinquante ans, ont disparu de nos jours. C’est en présence de pareils faits que l’on arrive à croire que les révolutions, en général si destructives des œuvres du passé, sort favorables à la conservation des monumens littéraires, en les forçant à se concentrer dans de grands dépôts, où l’existence comme la publicité de ces richesses est désormais assurée.

Le ton général des Mabinogion est plutôt romanesque qu’épique. La vie y est prise naïvement et sans emphase. L’individualité du héros est absolument sans limites. Ce sont de nobles et franches natures agissant dans toute leur spontanéité. Chaque homme apparaît comme une sorte de demi-dieu caractérisé par un don surnaturel ; ce don est presque toujours attaché à un objet merveilleux, qui est en quelque sorte le sceau personnel de celui qui le possède. Les classes inférieures, que suppose nécessairement au-dessous de lui ce peuple de héros, se montrent à peine, si ce n’est comme exerçant quelque métier, et à ce titre fort honorées. Les produits un peu compliqués de l’industrie humaine sont envisagés comme des êtres vivans et doués à leur manière d’une propriété magique. Une foule d’objets célèbres ont des