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pensée au dehors, elle n’a su que reculer tant que l’espace lui a suffi, puis, acculée dans sa dernière retraite, opposer à ses ennemis une résistance invincible. Sa fidélité même n’a été qu’un dévouement inutile. Dure à soumettre et toujours en arrière du temps, elle est fidèle à ses vainqueurs quand ceux-ci ne le sont plus à eux-mêmes. La dernière, elle a défendu son indépendance religieuse contre Rome, et elle est devenue le plus ferme appui du catholicisme ; la dernière en France, elle a défendu son indépendance politique contre le roi, et elle a donné au monde les derniers royalistes.

Ainsi la race celtique s’est usée à résister au temps et à défendre les causes désespérées. Il ne semble pas qu’à aucune époque elle ait eu d’aptitude pour la vie politique : l’esprit de la famille a étouffé chez elle toute tentative d’organisation plus étendue. Il ne semble pas aussi que les peuples qui la composent soient par eux-mêmes susceptibles de progrès. La vie leur apparaît comme une condition fixe qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de changer. Doués de peu d’initiative, trop portés à s’envisager comme mineurs et en tutelle, ils croient vite à la fatalité et s’y résignent. À la voir si peu audacieuse contre Dieu, on croirait à peine que cette race est fille de Japhet.

De là vient sa tristesse. Prenez les chants de ses bardes du Vie siècle ; ils pleurent plus de défaites qu’ils ne chantent de victoires. Son histoire n’est elle-même qu’une longue complainte ; elle se rappelle encore ses exils, ses fuites à travers les mers. Si parfois elle semble s’égayer, une larme ne tarde pas à briller derrière son sourire ; elle ne connaît pas ce singulier oubli de la condition humaine et de ses destinées qu’on appelle la gaieté. Ses chants de joie finissent en élégies ; rien n’égale la délicieuse tristesse de ses mélodies nationales ; on dirait des émanations d’en haut, qui, tombant goutte à goutte sur l’âme, la traversent comme des souvenirs d’un autre monde. Jamais on n’a savouré aussi longuement ces voluptés solitaires de la conscience, ces réminiscences poétiques où se croisent à la fois toutes les sensations de la vie, si vagues, si profondes, si pénétrantes, que, pour peu qu’elles vinssent à se prolonger, on en mourrait, sans pouvoir dire si c’est d’amertume ou de douceur.

L’infinie délicatesse de sentiment qui caractérise la race celtique est étroitement liée à ses besoins de concentration. Les natures peu expansives sont presque toujours celles qui sentent avec le plus de profondeur ; car plus le sentiment est profond, moins il tend à s’exprimer. De là cette charmante pudeur, ce quelque chose de voilé, de sobre, d’exquis, qui éclate d’une manière admirable dans les chants publiés par M. de La Villemarqué. Rien de plus opposé à cette rhétorique du sentiment, trop familière aux races latines, et à la naïveté réfléchie de l’Allemagne. La réserve apparente des peuples celtiques,