Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/484

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sante individualité, cette haine de l’étranger qui, jusqu’à nos jours, a formé le trait essentiel de ces peuples. La civilisation romaine ne les atteignit qu’à peine et ne laissa parmi eux que peu de traces. L’invasion germanique les refoula, mais ne les pénétra point. À l’heure qu’il est, ils résistent encore à une invasion bien autrement dangereuse, celle de la civilisation moderne, si destructive des variétés locales et des types nationaux. L’Irlande en particulier (et là peut-être est le secret de son irrémédiable faiblesse) est la seule terre de l’Europe où l’indigène puisse produire les titres de sa descendance, et affirmer avec assurance, jusqu’aux ténèbres anté-historiques, la race d’où il est sorti.

C’est dans cette vie retirée, dans cette défiance contre tout ce qui vient du dehors, qu’il faut chercher l’explication des traits principaux du caractère de la race celtique. Elle a tous les défauts et toutes les qualités de l’homme solitaire : à la fois fière et timide, puissante par le sentiment et faible dans l’action ; chez elle, libre et épanouie ; à l’extérieur, gauche et embarrassée. Elle se défie de l’étranger, parce qu’elle y voit un être plus raffiné qu’elle, et qui abuserait de sa simplicité. Indifférente à l’admiration d’autrui, elle ne demande qu’une chose, qu’on la laisse chez elle. C’est par excellence une race domestique, formée pour la famille et les joies du foyer. Chez nulle autre race, le lien du sang n’a été plus fort, n’a créé plus de devoirs, n’a rattaché l’homme à son semblable avec autant d’étendue et de profondeur. Toute l’institution sociale des races celtiques n’était à l’origine qu’une extension de la famille. Une expression vulgaire atteste encore aujourd’hui que nulle part la trace de cette grande organisation de la parenté ne s’est mieux conservée qu’en Bretagne. C’est en effet une opinion répandue en ce pays que le sang parle, et que deux parens inconnus l’un à l’autre, se rencontrant sur quelque point du monde que ce soit, se reconnaissent à la secrète et mystérieuse émotion qu’ils éprouvent l’un devant l’autre. Le respect des morts tient au même principe. Nulle part la condition des morts n’a été meilleure, nulle part le tombeau ne recueille autant de souvenirs et de prières. C’est que la vie n’est pas pour ce peuple une aventure personnelle que chacun court pour son propre compte et à ses risques et périls : c’est un anneau dans une longue tradition, un don reçu et transmis, une dette payée et un devoir accompli.

On aperçoit sans peine combien des natures aussi fortement concentrées étaient peu propres à fournir un de ces brillans développemens qui imposent au monde l’ascendant momentané d’un peuple, et voilà sans doute pourquoi le rôle extérieur de la race kymrique a toujours été secondaire. Dénuée de toute expansion, étrangère à toute idée d’agression et de conquête, peu soucieuse de faire prévaloir sa