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que je suis assurée que vous ne le ferez pas imprimer, quand mesme le reste vous plairoit. Je vous assure aussi que je vous serai plus obligée, si vous en usez comme d’une chose qui seroit à vous pour le corriger ou pour le jetter au feu, que si vous lui faisiez un honneur qu’il ne mérite pas. Nous autres grands auteurs, nous sommes trop riches pour craindre de rien perdre de nos productions. Mandez-moi ce qu’il vous semble de ce dictum. »


La Rochefoucauld prit au mot Mme de Sablé ; il usa très librement de son article, il supprima les critiques, garda les éloges, et le fit mettre dans le Journal des Savans ainsi amendé et parfaitement pur de toute prétention à la moindre impartialité[1].

  1. Nous mettons en regard le projet d’article et l’article imprimé pour qu’on en saisisse mieux les différences. ¬¬¬
    Projet d’article Article imprimé.
    pour le Journal des Savans sur les Maximes de M. de La Rochefoucauld. Journal des Savans, 1665, p. 116.

    Réflexions ou Sentences et Maximes morales, à Paris, chez C. Barbin, au Palais.

    « C’est au traité du mouvement du cœur de l’homme qu’on peut dire lui avoir esté comme inconnu jusques à cette heure. Un seigneur aussi grand en esprit qu’en naissance en est l’auteur, mais ni sa grandeur ni son esprit n’ont pu empescher qu’on en ait fait des jugemens bien différens.

    « Les uns croyent que c’est outrager les hommes que d’en faire une si terrible peinture, et que l’autheur n’en a pu prendre l’original qu’en lui-mesme. Ils disent qu’il est dangereux de mettre de telles pensées an jour, qu’ayant si bien montré qu’on ne fait jamais les bonnes actions que par de mauvais principes, on ne se mettra plus en peine de chercher la vertu, puisqu’il est impossible de l’avoir si ce n’est en idée ; que c’est enfin renverser la morale de faire voir que toutes les vertus qu’elle nous enseigne ne sont que des chimères, puisqu’elles n’ont que de mauvaises fins.

    « Une personne de grande qualité et de grand mérite passe pour estre auteur de ces Maximes ; mais quelque lumière et quelque discernement qu’il ait fait paroistre dans cet ouvrage, il n’a pas empesché que l’on n’en ait fait des jugemens bien différens.
    « Les autres, au contraire, trouvent ce traité fort utile parce qu’il découvre aux hommes les fausses idées qu’ils ont d’eux-mesmes, et leur fait voir que sans la religion ils sont incapables de faire aucun bien ; qu’il est bon de se connoistre tel qu’on est, quand mesme il n’y auroit que cet advantage de n’estre pas trompé dans la connoissance qu’on peut avoir de soy-mesme. « L’on peut dire néanmoins que ce traité est fort utile, parce qu’il découvre aux hommes les fausses idées qu’ils ont d’eux-mesmes, qu’il leur fait voir que sans le christianisme ils sont incapables de faire aucun bien qui ne soit meslé d’imperfection, et que rien n’est plus advantageux que de se connoistre tel qu’on est en effet, afin de n’estre pas trompé par la fausse connoissance que l’on a toujours de soi-mesme.
    « Quoi qu’il en soit, il y a tant d’esprit dans cet ouvrage et une si grande pénétration pour connoistre le véritable estat de l’homme, à ne regarder que la nature, que toutes les personnes de bon sens y trouveront une infinité de choses qu’ils auroient peut-estre ignorées toute leur vie, si cet auteur ne les avoit tirées du chaos du cœur de l’homme pour le mettre dans un jour où quasi tout le monde peut les voir et comprendre sans peine. » « Il y a tant d’esprit dans cet ouvrage et une si grande pénétration pour démesler la vérité des sentimens du cœur de l’homme, que toutes les personnes judicieuses y trouveront une infinité de choses fort utiles qu’elles auroient peut-estre ignorées toute leur vie, si l’auteur des Maximes ne les avoit tirées du chaos pour les mettre dans un jour où quasi tout le monde les peut voir et les peut comprendre sans peine. »