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Ainsi il est certain que Mme de La Fayette condamnait le système de son ami. Nous ne lui attribuerons donc pas les Remarques écrites à la marge d’un exemplaire des Maximes appartenant à un membre de la chambre des députés de la restauration, M. de Cayrol. M. Aimé Martin a publié plusieurs de ces remarques à la fin de son édition de La Rochefoucauld, sur la foi d’une tradition qui les donne à Mme de La Fayette. Nous n’avons pas vu l’exemplaire de M. de Cayrol ; mais quand M. Aimé Martin nous dit : « On sait que l’auteur de Zaïde et de la Princesse de Clèves approuvait le système de La Rochefoucauld, » nous répondons qu’il se trompe, et si, comme il l’assure, on trouve le plus souvent au bas de chaque maxime ces mots : vrai, excellent, sublime, cela prouverait certainement que ces remarques ne sont point de Mme de La Fayette ; il y en a d’ailleurs un assez grand nombre qui ne lui peuvent appartenir. La Rochefoucauld avait dit : « L’intention de ne jamais tromper nous expose à être souvent trompés. » Est-ce la femme avisée et prudente, mais loyale et sincère, et que La Rochefoucauld lui-même a appelée vraie, qui sera tombée en admiration devant cette belle maxime et se sera empressée d’y apposer cet élégant commentaire : « On est toujours dupe de ses bonnes intentions ? » Est-ce la fleur des beaux-esprits de la cour de Madame qui n’aura pas compris le sens du mot honnête homme dans sa propre société, et qui, en bourgeoise qui se rengorge et fait l’entendue, lorsque La Rochefoucauld écrit, avec Pascal, avec Méré, avec tout le monde : « Le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien, » le reprend et l’avertit « qu’il y a bien d’autres choses pour un honnête homme ? Cela est bon pour un galant homme, et non pour un honnête homme ; » ce qui est parfaitement vrai aujourd’hui et l’était déjà au commencement du XVIIIe siècle, mais ne l’était pas du tout au milieu du XVIIe. Il faut donc ôter ces remarques à Mme de La Fayette, bien qu’il y en ait plus d’une qui ne soit pas indigne d’elle. Si nous avions à les juger, nous dirions qu’on les pourrait attribuer à une personne telle que Mme de Lambert par exemple, de qualité, mais non pas de grande qualité, plus de la ville que de la cour, d’un esprit agréable et poli, mais sans grande portée. Pour Mme de La Fayette, sa vraie pensée sur les Maximes est dans le billet authentique que nous avons cité.

Je doute aussi beaucoup de la vérité de ce propos si souvent attribué à Mme de La Fayette : « M. de La Rochefoucauld m’a donné de l’esprit, mais j’ai réformé son cœur. » Personne, pas même La Rochefoucauld, n’avait à donner de l’esprit à l’auteur de Mademoiselle de Montpensier, déjà publiée en 1662, et personne aussi n’a réformé La Rochefoucauld, car, depuis sa liaison avec Mme de La Fayette jusqu’à sa mort, il a donné bien des éditions différentes des Maximes sans jamais toucher au système.