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allait assez souvent avec sa sœur, Mme Périer. Il est donc assez naturel qu’il ait pris part à ce qui s’y faisait et payé son tribut au goût dominant. Ouvrez le manuscrit autographe de Pascal ; examinez ces papiers de toute sorte transportés plus tard sur des feuilles uniformes : vous y rencontrerez une foule de réflexions, de pensées, de maximes, qu’avec la meilleure volonté du monde il est impossible de considérer comme des matériaux amassés par Pascal pour son grand ouvrage sur la religion, et qui sont manifestement des pensées, des maximes détachées, exactement comme celles qu’on faisait chez Mme de Sablé. Si ces pensées-là n’avaient été pour lui que des notes destinées seulement à fixer ses souvenirs, comme il y en a tant d’autres dans le précieux manuscrit, pourquoi aurait-il pris la peine de les travailler avec tant de soin, de les remanier souvent trois ou quatre fois pour les amener à une forme achevée ? Nous savons que Pascal écrivit les Pensées après les Provinciales, de 1658 à 1662, c’est-à-dire dans tout l’éclat de la société de la marquise. Comment cette société aurait-elle été sans influence sur lui ? Comment Mme de Sablé ne lui aurait-elle pas aussi demandé des sentences, des maximes, et pourquoi lui en aurait-il refusé ? Il ne faut pas oublier qu’il y a un assez bon nombre de pensées de Pascal dans les portefeuilles de valant, il y en a même plusieurs qui y sont plus développées que dans le manuscrit original, probablement d’après les conversations de l’auteur, ce qui prouve à quel point Mme de Sablé et ses amis entraient dans les travaux de Pascal. Beaucoup de ses pensées mondaines ne se rapportent-elles pas, pour la vivacité du tour et pour l’effet dramatique, au modèle même qu’on se proposait chez Mme de Sablé, et que La Rochefoucauld a plus d’une fois atteint ? Relisez les deux fameuses pensées sur le gravier de Cromwell et sur le nez de Cléopâtre. Il y a là sans doute un fond puissant, une vigueur qui n’appartient qu’à Pascal ; mais, à ne considérer que leur forme et le caractère général du style, ne pourrait-on les attribuer à La Rochefoucauld ? Prenez surtout la dernière pensée : « Qui veut connoître à plein la vanité de l’homme n’a qu’à considérer les causes et les effets de l’amour. La cause en est un je ne sais quoi (Corneille), et les effets en sont effroyables. Ce je ne sais quoi, si peu de chose qu’on ne peut le reconnoître, remue toute la terre, les princes, les armées, le monde entier. Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court,