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Orient de véritables dangers à l’Angleterre, pour distraire une portion de ses forces, pour diminuer ses moyens d’action en Occident : pense-t-on qu’elle n’eût rien gagné pour l’accomplissement de ses desseins en Europe ? Imaginez encore mieux, supposez que la Russie parvînt un jour à frapper au cœur la puissance anglaise en lui disputant son plus vaste empire : — croit-on que cette diminution de puissance pour l’Angleterre ne changeât pas notablement la situation de l’Europe et n’ouvrît pas une chance de plus à la prépondérance de la Russie ? Or, quelques souvenirs de haine qu’il y ait entre l’Angleterre et la France, par quelques violens antagonismes qu’elles aient été séparées, il y a du moins entre elles l’analogie de la civilisation occidentale. Leur prospérité et leurs forces réunies ne sont point un lest trop puissant pour l’Europe. Elles peuvent être divisées encore sur bien des points : les événemens actuels serviraient de peu de chose cependant, s’ils n’apprenaient aux deux pays qu’en certains momens leur union est la plus sûre garantie de l’Occident, et qu’ils sont encore plus intéressés à prospérer ensemble qu’à se poursuivre parfois d’animosités étroites et puériles.

Telle est au surplus la naturelle prépondérance d’une question comme celle qui plane sur l’Europe et sur le monde depuis quelques mois, qu’il est tout simple de voir les incidens de la vie intérieure se rattacher sans effort à cet ensemble de complications et en recevoir leur signification. C’est ainsi que s’explique par les circonstances actuelles l’appel sous les drapeaux de la seconde partie du contingent militaire de 1852. C’est la même pensée qui a dicté ces mesures d’armement maritime, d’après lesquelles nos escadres pourraient être doublées ou triplées d’un jour à l’autre, selon les expressions d’une lettre adressée par l’empereur à M. le ministre de la marine. Quant à l’influence qu’une crise de cette nature peut avoir sur la situation économique du pays, sur le mouvement des affaires et des intérêts, il est évident qu’elle ne peut être très favorable à toutes les entreprises de l’industrie et du commerce. L’incertitude se communique nécessairement à tout; elle produit ces oscillations singulières qu’on peut voir d’un jour à l’autre dans toutes les valeurs du crédit public. Ce n’est pas que ces alternatives de confiance ou de découragement dont la Bourse est l’habituel et mobile thermomètre soient toujours également justifiées, et qu’elles ne déroutent parfois toutes les prévisions les mieux assises; mais dans leur mobilité même, dans leur mouvement confus et contradictoire, elles offrent le plus palpable résumé des variations de l’esprit d’industrie. On ne saurait méconnaître que ces jours derniers les plus récens événemens ont produit un temps d’arrêt marqué, si ce n’est un mouvement de retraite momentané, dans le monde des spéculations financières. Voilà donc comment cette année nouvelle commençait, comment elle a vécu ce peu de jours qu’elle compte jusqu’ici ! Une grande question extérieure entretenant une grande perplexité, le silence des débats intérieurs, les progrès matériels suivant leur cours, mais inquiétés déjà par la perspective des événemens qui peuvent surgir, l’ouverture des fêtes d’hiver et les réceptions souveraines, — c’est l’histoire de cette courte période; c’est là le monde actuel avec ses préoccupations, ses entraînemens, ses malaises, ses besoins de plaisirs et de luxe toujours survivans. N’y a-t-il pas cependant dans la vie sociale des incidens d’une nature particulière qui ont aussi leur