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font semblant d’être dupes, mais qui ne le sont pas pour leurs intérêts, la science positive n’a rien à démêler avec eux, pas plus que la bonne foi.

On a souvent jeté aux académies le reproche d’arrêter la marche des idées et d’entraver les progrès scientifiques et industriels de l’esprit humain. Ce reproche n’est pas fondé. Et d’abord, que l’on compte tous les fléaux d’invention hasardée dont leur sage circonspection a empêché l’éclosion. Voyez ce qui se passe en Amérique et à quel prix sont payés les procédés d’un mérite réel, quand il faut subir sans contrôle l’essai de tous les autres ! Je sais bien qu’on me citera le bateau à vapeur du marquis de Jouffroy. Eh bien ! je déclare qu’à cette époque, avant les perfectionnemens des travaux métallurgiques sur la fonte de fer et sur l’alézement des corps de pompe, la fabrication utile d’un bateau à vapeur était aussi impossible que le jeu de whist avant l’invention des cartes. Ayant été commissaire pour la réception des produits de l’industrie à toutes nos expositions, et dernièrement pour celle de Londres, je suis en fonds pour édifier le public sur la portée de nombreuses inventions qui prouveront jusqu’à l’évidence l’utilité des corps scientifiques et l’indispensable nécessité de répandre le plus possible les notions mécaniques et physiques, dont l’ignorance pousse tant d’esprits actifs et zélés à la recherche de l’impossible. Je développerai sans doute cette thèse quelque jour à propos de la navigation aérienne.

Il est certains esprits ambitieux qui, comme Alexandre, se trouvent trop à l’étroit dans ce monde, et voudraient entrer en relation avec un autre ordre d’êtres moins matériels. Telle a été dans tous les siècles la tendance de l’imagination de l’homme, et jamais rien de réel n’est sorti de ces tentatives. Chaque siècle a constamment pris en pitié les superstitions métaphysiques des siècles précédens, et franchement je ne vois aucun espoir que la magie des tables tournantes ait plus de crédit dans la postérité que celle de la pythonisse d’Endor, bien autrement poétique au moment où elle est consultée par un vieux roi affaibli moralement par l’âge et le malheur, et qui dans ses états avait autrefois proscrit la magie ! Pour plusieurs esprits ardens, mais irréfléchis, il n’est point d’impossibilité. Ils sont toujours sur le point d’accuser d’incrédulité aveugle ceux qui n’admettent pas que la nature puisse à tout instant démentir ses lois. Qu’ils disent donc à quel pouvoir supérieur à la puissance créatrice ils auront recours pour dominer les lois établies par cette puissance placée si haut par rapport à l’homme ! Admettez le merveilleux, je le veux bien, mais à la condition que ce merveilleux ne sera pas absurde. En vérité, on a peine à tenir son sérieux contre la naïveté des improvisateurs du monde des esprits. Quand la police arrêta l’essor des convulsionnaires de Saint-Médard, on afficha sur les murs du cimetière ces deux petits vers bouffons :

De par le roi, défense à Dieu
D’opérer miracle en ce lieu.

De par le bon sens, défense de faire parler les tables et de leur faire composer des vers et de la musique ailleurs que sur les théâtres des prestidigitateurs !