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— Ah ! s’écria Gustave avec une exaltation croissante, rien sur la terre ne peut m’enlever Lénora,… Pas même le pouvoir d’un père ! C’est Dieu qui me l’a donnée !

Il tomba à genoux devant M. de Vlierbecke, leva vers lui des mains suppliantes en murmurant : — Oh ! pardon ! Non, non, vous ne voudrez pas me donner le coup de la mort. Mon père, mon père, au nom de Dieu, donnez-moi votre bénédiction… Votre froideur me fait mourir !

M. de Vlierbecke semblait avoir oublié le jeune homme, et ses yeux étaient levés au ciel, comme s’il eût adressé à Dieu une fervente prière. Sa voix se fit enfin entendre distinctement ; il disait, le regard plein de larmes : — Marguerite, Marguerite, réjouis-toi dans le sein de Dieu ; ma promesse est accomplie : ton enfant sera heureuse sur la terre !

Gustave et Lénora, tremblans d’espoir, interrogeaient ses yeux ; il releva le jeune homme, l’embrassa avec effusion en lui disant : — Gustave, mon fils chéri, que le ciel bénisse ton amour ! Rends ma fille heureuse : elle est ta fiancée !

— Gustave, Gustave mon fiancé ! s’écria la jeune fille en se jetant en même temps dans leurs bras à tous deux et en les embrassant dans une même étreinte.

Et le premier baiser d’amour, le baiser sacré des fiançailles, fut échangé sur le sein de cet heureux père, qui versait les plus douces larmes sur la tête de ses enfans prosternés, en étendant au-dessus d’eux ses mains bénissantes.


Et maintenant, cher lecteur, je dois vous avertir que pour certains motifs je vous ai caché la situation et même le nom véritable du château des seigneurs de Vlierbecke. Par conséquent aucun de vous ne saura où Gustave habite avec sa douce Lénora.

Quant à ce qui me concerne, j’ai vu et je connais M. et Mme Denecker, et même je me suis souvent promené autour du Grinselhof avec leurs deux gentils enfans et avec M. de Vlierbecke, leur grand-père.

Il est encore profondément gravé dans mon souvenir, le ravissant tableau de bonheur domestique, de paix et d’amour qu’il m’a été donné de contempler parfois, lorsque le vieux gentilhomme, assis sur un banc du jardin, cherchait déjà à faire comprendre à ces deux petits anges las de jouer les grandes forces qui agissent dans la nature, que la petite Adeline montait sur ses genoux pour lui caresser les joues et que le remuant Isidore chevauchait avec une joie folle sur sa jambe complaisante, tandis que M. Denecker et sa femme, muets et se serrant la main, contemplaient avec une intime jouissance le bonheur l’aïeul et les jeux des enfans.

Je ne vous dirai pas qui m’a raconté cette histoire ; il vous suffira de savoir que je connais toutes les personnes qui y jouent un rôle, et même que je me suis plus d’une fois assis à la table de Jean le fermier, avec la femme Beth et la servante Catherine, qui aiment passablement à jaser, et surtout à dire du bien de leurs bienfaiteurs.


HENRI CONSCIENCE.

(Traduit par M. LEON WOCQUIER.)