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ta cage ? Oh ! c’est dur, n’est-ce pas, cher petit, d’être captif, quand on sait qu’au dehors règnent joie et liberté ? quand on est né au milieu des champs et des bois, quand on sait que là seulement, sous le beau soleil de Dieu, on mène une vie indépendante et douce ? Ah ! pauvre oiseau, comme toi je suis une enfant de la nature ; moi aussi j’ai été arrachée du lieu de ma naissance, moi aussi je pleure la majestueuse solitude où s’est écoulée mon enfance et les calmes ombrages qui abritaient mon berceau. Mais un ami t’a-t-il été, comme à moi, ravi pour toujours ? L’image de celui que tu as jadis aimer vient-elle se mêler à ta tristesse ? Pleures-tu aussi autre chose que l’espace et la liberté ? Mais que te demandé-je là ? Le temps d’aimer est revenu, n’est-ce pas ? Je devine tes douleurs ; je ne veux pas être plus longtemps pour toi ce qu’est pour moi l’inexorable sort. Tiens, prends ton vol ; que Dieu te protège ! Va, et savoure pleinement les deux plus grands bonheurs de toute créature vivante : la liberté et l’amour !… Ah quel cri de joie, et comme tu ouvres tes ailes toutes grandes ! Adieu ! adieu !…

Lénora suivit de l’œil l’oiseau qui montait vers le ciel en fendant l’air avec la rapidité d’une flèche, puis elle revint s’asseoir avec un sourire de douce satisfaction, reprit son ouvrage et se remit à travailler avec le même zèle qu’auparavant. Un quart d’heure s’était écoulé. Lénora leva tout à coup la tête, prêta l’oreille, et s’écria d’une voix joyeuse : — Ah ! voici mon père ! Puisse-t-il avoir été heureux ! — Elle quitta sa chaise et alla vers la porte.

M. de Vlierbecke entra dans la chambre, un rouleau de papier à la main, et gagna à pas lents un siège où il s’affaissa épuisé et haletant. Il était devenu très maigre ; ses yeux s’étaient en quelque sorte enfoncés dans l’orbite, son regard était morne et languissant, ses joues pâles, toute sa physionomie altérée et abattue. Ou s’apercevait qu’une grave maladie avait affaibli en même temps chez lui les forces du corps et celles de l’âme. Il était très pauvrement vêtu. On voyait bien pourtant qu’il avait longtemps lutté pour cacher les traces de la misère ; on n’eût pu découvrir sur ses habits ni une tache, ni un grain de poussière, mais l’étoffe en était usée jusqu’à la trame ; çà et là se trahissaient des raccommodages mal dissimulés, en outre ces vêtemens étaient trop amples et trop larges pour son corps amaigri. Peut-être l’infortune et la maladie avaient-elles énervé l’âme forte et virile du gentilhomme, peut-être son courage était-il abattu et son cœur brisé !

Lénora le contempla un instant avec une profonde affliction. — Mon Dieu, mon père, êtes-vous redevenu malade ?

— Non, Lénora, répondit-il, mais j’ai tant de malheur !

La jeune fille l’embrassa tendrement, et lui dit en serrant sa main d’une étreinte caressante : — Père, père, il y a huit jours à peine vous étiez encore au lit, faible et souffrant. Nous avons demandé au ciel votre rétablissement, comme le plus grand bonheur qui pût nous être accordé sur la terre. Dieu a exaucé nos prières : vous êtes guéri… et voilà que vous vous désolez de nouveau dès la première contrariété ! Vos démarches n’ont pas réussi aujourd’hui, n’est-il pas vrai ? Je le vois sur votre visage attristé. Eh bien ! qu’est-ce que cela fait ? En quoi cela nous empêche-t-il d’être heureux ? Allons, allons, sachons comme autrefois lutter contre le destin ; soyons forts, et regardons la misère en face et la tête levée : le courage est aussi une richesse.