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qu’ils sont devenus ? Ah ! je tremble, une affreuse anxiété m’oppresse ; ainsi vous ne pouvez m’indiquer leur demeure ? Personne ne sait où ils sont ?

— Personne ! répliqua le notaire. Le soir même de la vente, M. de Vlierbecke a quitté le Grinselhof à pied, et a suivi dans la bruyère un chemin inconnu. J’ai fait depuis quelques démarches pour découvrir son domicile, mais toujours sans le moindre résultat.

À cette triste nouvelle, le jeune homme fut pris d’un tremblement nerveux et pâlit visiblement ; désespéré, il porta convulsivement les mains à son front comme s’il eût voulu cacher deux grosses larmes qui coulaient de ses yeux.

— Vous êtes jeune, monsieur, reprit le notaire les yeux fixés sur Gustave Denecker, et, selon l’habitude de votre âge, vous exagérez joie et douleur. Votre désespoir n’est pas fondé ; il est facile, au temps où nous vivons, de découvrir les gens que l’on veut bien rechercher. Avec un peu d’argent et de l’activité, on est à peu près sûr d’avoir, en peu de jours, des renseignemens sur le domicile de M. de Vlierbeke, quand même il habiterait un pays étranger. Si vous voulez me charger de ces recherches, je n’épargnerai ni temps, ni peines pour vous donner dans un bref délai des nouvelles satisfaisantes.

Gustave arrêta sur le notaire un regard plein d’espoir, lui serra la main et lui dit avec un sourire où se reflétait sa reconnaissance : — Rendez-moi cet inestimable service, monsieur le notaire. N’épargnez pas l’argent, remuez ciel et terre s’il le faut ; mais, au nom de Dieu, faites que je sache, et que je sache bientôt où se sont retirés M. de Vlierbecke et sa fille.

— Ne craignez rien, monsieur ; pour vous être utiles, mes clercs écriront toute la nuit des lettres à ce sujet. Demain je me rendrai de bonne heure à Bruxelles, et j’y réclamerai le secours de l’administrateur de la sûreté publique. Du moment où vous me permettez de n’épargner aucun frais, cela ira de soi-même.

— Moi, de mon côté, je mettrai à contribution les nombreux correspondans de notre maison de commerce, et ferai d’incessans efforts pour les découvrir, dussé-je moi-même entreprendre pour cela de longs voyages.

— Reprenez donc courage, monsieur Denecker, dit le notaire, je ne doute pas qu’en peu de temps nous n’atteignions notre but. Maintenant que vous êtes assuré de mes bons offices, il me serait agréable que vous me permissiez de causer un instant avec vous tranquillement et sérieusement. Je n’ai pas le droit de vous demander quels sont vos projets, et moins encore le droit de supposer que ces projets puissent être autres que respectables de tout point. Votre dessein est donc d’épouser mademoiselle Lénora ?

— C’est mon dessein immuable, répondit le jeune homme.

— Immuable ? reprit le notaire, soit ; mais la confiance que m’a toujours témoignée votre vénérable oncle et mon titre de notaire m’imposent le devoir de vous mettre sous les yeux, avec sang-froid, ce que vous allez faire. Vous êtes millionnaire, vous portez un nom qui, dans le commerce, représente à lui seul un important capital ; M. de Vlierbecke ne possède rien. Sa ruine est connue de tous, et le monde, injuste ou non, condamne le gentilhomme ruiné à l’ignominie et au mépris. Avec votre fortune, votre jeunesse, votre extérieur, vous pouvez obtenir la main d’une opulente héritière, et doubler vos revenus.