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ces propositions de la grâce, disant à tous momens : Hé ! qu’importe-t-il comme l’on fait, puisque si nous avons la grâce, nous serons sauvés, et si nous ne l’avons pas, nous serons perdus. Et puis ils concluent par dire : Tout cela sont fariboles… Avant toutes ces questions-ci, quand Pasques arrivoit, ils étoient étonnés comme des fondeurs de cloches, ne sachant où se fourrer et ayant de grands scrupules ; présentement Ils sont gaillards et ne songent plus à se confesser, disant : Ce qui est écrit est écrit. Voilà ce que les jansénistes ont opéré à l’égard des mondains. Pour les véritables chrétiens, il n’étoit pas besoin qu’ils écrivissent tant pour les instruire, chacun sachant fort bien ce qu’il faut faire pour vivre selon la loi. Que MM. les jansénistes, au lieu de remuer des questions délicates, et qu’il ne faut point communiquer au peuple, prêchent par leur exemple, j’auray pour eux un respect tout extraordinaire, les considérant comme des gens de bien dont la vie est admirable, qui ont de l’esprit comme des anges, et que j’honorerois parfaitement s’ils n’avoient point la vanité de vouloir introduire des nouveautés dans l’église. Je croy fermement que si M. d’Andilly savoit que j’eusse l’audace de n’approuver pas les jansénistes, il me donneroit un beau soufflet, au lieu de tant d’embrassades amoureuses qu’il m’a données autrefois. Je ne vous écris point de ma main, parce que je prends les eaux de Sainte-Reyne, qui me donnent un froid si épouvantable, que je ne puis mettre le nez hors du lit. Mais, madame, la colère de Mme  la marquise ira-t-elle, à votre avis, à me refuser la recette de la salade ? Si elle le fait, ce sera une grande inhumanité dont elle sera punie dans ce monde et dans l’autre… »


Mme  de Sablé réussit mieux auprès de celles de ses amies dont la sensibilité l’emportait sur le jugement, et qui aussi avaient plus à expier. Elle donna à Port-Royal plusieurs belles pécheresses, entre autres Mme  de Longueville.

Nous possédons de Mme  de Longueville une foule de lettres depuis le 19 août 1654, jour solennel où elle se tourna vers Dieu sans retour et sans réserve, jusqu’en 1659 et 1660 qu’elle renoua avec Mme  de Sablé un commerce quelque temps interrompu, et aucune de ces lettres ne porte le moindre signe de quelque pente aux opinions nouvelles. Mme  de Longueville est convertie ; sa piété, animée par le repentir, est fort vive, mais toute simple ; le bruit même des Provinciales, en 1657, ne semble pas avoir été jusqu’à elle : on n’en sent pas le plus faible écho dans ses lettres de cette époque. Sa foi était absolue : elle la tenait de son temps, de sa famille, de toutes ses habitudes ; elle aimait la religion comme elle aimait sa mère. La difficulté pour elle était de la pratiquer, de réparer ses fautes, et de faire quelques progrès dans les voies de la perfection chrétienne, telle que la lui montraient les exemples des saints dans la tradition de l’église et les admirables modèles qu’elle avait sous les yeux à Moulins, auprès de sa tante, Mme  de Montmorency, et partout chez ses chères Carmélites. Dans les ardens repentirs, les continuelles alarmes, les troubles