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que M. de Vlierbecke s’y était résolu pour payer ses dettes, et qu’il était tombé dans la dernière misère. La cause même de son malheur, c’est-à-dire le secours qu’il avait prêté à son frère, était connue, bien qu’on n’en sût pas les circonstances particulières.

Depuis le placement des affiches, le gentilhomme vivait encore plus retiré, afin d’enter toute explication. Il attendait avec résignation l’époque de la vente, et bien que le chagrin fit souvent effort pour s’emparer de son âme, il trouvait dans les encouragemens incessans de sa fille la force de voir arriver le jour fatal avec une sorte d’orgueil.

Sur ces entrefaites, il avait reçu de Rome une lettre de Gustave, lettre qui contenait en même temps quelques lignes pour sa fille. Le jeune homme annonçait que l’absence avait rendu plus vive que jamais son affection pour Lénora, et que sa seule consolation était l’espoir de lui être uni un jour par les liens du mariage. Il était cependant forcé d’avouer, en se plaignant tristement, que tous ses efforts pour amener son oncle à changer de résolution étaient jusque-là demeurés vains. M. de Vlierbecke ne dissimula pas à Lénora que son union avec Gustave lui paraissait désormais tout à fait impossible, et qu’il serait sage à elle d’oublier ce malheureux amour pour ne pas se préparer de nouveaux chagrins. Maintenant que la pauvreté de son père était publiquement connue, Lénora elle-même était convaincue qu’il lui fallait renoncer à toute espérance ; cependant elle se sentait heureuse et fortifiée par la pensée que Gustave l’aimait encore, que celui dont le souvenir et l’image remplissaient son cœur songeait toujours à elle et gémissait de son absence.

Comme si tous les malheurs qui pouvaient briser le cœur du gentilhomme dussent l’accabler à la fois, il reçut d’Amérique la nouvelle de la mort de son frère. L’infortuné avait succombé à une cruelle maladie de langueur dans les déserts qui s’étendent au-delà de la baie d’Hudson. M. de Vlierbecke pleura pendant quelques jours la perte d’un frère tendrement aimé ; mais son esprit se détourna forcément de ce malheur pour se reporter sur la décision imminente de son propre sort…

Enfin le jour de la vente arriva. De bon matin, le Grinselhof fut envahi par toutes sortes de gens, qui, mus par la curiosité ou par le désir d’acheter, parcoururent toutes les chambres de l’habitation de M. de Vlierbecke pour visiter le mobilier, et estimer dans leur for intérieur la valeur de chaque objet. Aidé de sa fille, l’infortuné gentilhomme avait passé toute la nuit précédente à nettoyer les objets susceptibles d’être vendus et à les mettre en bon état, afin que les amateurs en offrissent le prix le plus avantageux. Ce soin ne lui avait pas été inspiré par l’intérêt personnel, car les biens-fonds ayant été vendus quelques jours auparavant très désavantageusement, il lui était démontré que la vente totale de son avoir ne pourrait en aucun cas dépasser le montant de ses dettes. C’était un sentiment de probité qui avait poussé le gentilhomme à sacrifier le repos de la nuit à l’intérêt de ses créanciers, afin de diminuer autant que possible leurs pertes. M. de Vlierbecke avait probablement le dessein de ne pas prolonger son séjour au Grinselhof après la vente, car parmi les lots exposés aux enchères, on pouvait remarquer deux garnitures complètes de lit et une grande quantité de vêtemens appartenant