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Abandonnez-vous à ce doux espoir, ma bien-aimée. Oh ! oui, ne vous désolez pas : laissez-moi emporter dans mon triste voyage l’assurance que vous m’attendrez avec confiance dans. la bonté de Dieu. Laissez-moi partir…

— Mon Dieu, j’ai promis à mon père, de vous oublier ! murmura la jeune fille avec une sorte d’effroi.

— M’oublier ! Vous vous efforcerez de m’oublier !

— Non, Gustave, dit-elle d’une voix douce ; je désobéirai pour la première fois à mon père ; je sens mon impuissance à tenir une vaine promesse, je ne puis vous oublier ; je vous aimerai jusqu’à ma dernière heure ; c’est ma destinée sur la terre.

— Oh ! merci, merci, Lénora, s’écria Gustave avec exaltation. Tes douces paroles me font puissant contre le sort. Reste ici, ma bien-aimée, sous la garde de Dieu ; ton image me suivra comme un ange protecteur.

Il saisit convulsivement les mains de la jeune fille, les serra d’une étreinte fébrile, et disparut sous les massifs de verdure.

— Adieu, adieu, Gustave ! s’écria Lénora hors d’elle-même.

Et, comme anéantie, elle chercha un siège d’une main tremblante, y tomba épuisée, abîmée dans une douleur inexprimable, et versant un torrent de larmes.


VII.

Lénora avait révélé à son père la dernière visite de Gustave, et s’était efforcée de faire accepter à son cœur le doux espoir d’un avenir meilleur ; mais M. de Vlierbecke avait écouté Son récit comme s’il y eût été insensible, il l’avait écouté en souriant amèrement et sans donner à sa fille une réponse positive.

Depuis ce jour, le Grinselhof était devenu plus solitaire et plus triste encore qu’auparavant. Le gentilhomme, visiblement torturé par une secrète douleur, était le plus souvent assis, le front dans les mains, le regard pensif et fixé sur le sol. Sans doute apparaissait à ses yeux le fatal jour d’échéance de la lettre de change, jour qui s’approchait menaçant et inévitable, et qui devait plonger pour toujours dans la plus affreuse misère le malheureux père et son enfant. Lénora dissimulait ses propres souffrances pour ne pas accroître par sa tristesse l’inexplicable chagrin de son père. Bien que son âme débordât de pensées désolantes, elle feignait d’être consolée et joyeuse. Elle faisait et disait tout ce que lui inspirait son cœur aimant pour arracher le gentilhomme à ses mortelles rêveries ; mais tous ses efforts étaient vains. Son père la récompensait bien par un sourire ou par une tendre caresse ; mais le sourire était triste, la caresse contrainte et languissante.

Un mois entier se passa ainsi, un mois de morne tristesse et de silencieuses souffrances. Cependant Lénora remarquait avec désespoir le rapide amaigrissement et la croissante pâleur du visage de son père, et combien son œil si vif perdait chaque jour de son éclat ; on eût dit qu’une maladie de langueur minait sa santé et consumait sa vie.

Vers cette époque, un changement dans la conduite de son père vint convaincre la jeune fille qu’un triste secret, un secret terrible peut-être, pesait