Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore le négociant. Un certain étonnement se peignit bien sur son visage ; mais il dit avec un sourire incrédule : — Pardonnez-moi, monsieur de Vlierbecke, il m’est Impossible de vous croire ; je ne pensais pas que vous fussiez si dur à la détente, mais soit. Chacun a son travers, l’un est trop avare, l’autre trop prodigue. Quoi qu’il en soit, je veux faire quelque chose pour épargner à Gustave un long chagrin. Voyons, donnez à votre fille vingt-cinq mille francs sous la condition que le montant de la dot restera secret, car je ne veux pas non plus être tourné en ridicule. Vingt-cinq mille francs !… vous ne direz pas que c’est trop.., une pareille bagatelle suffira à peine à payer leur mobilier. Voyons, soyez raisonnable ; voici ma main.

Pris d’un frémissement nerveux, le gentilhomme se leva brusquement et fit tourner d’une main tremblante la clé d’une armoire encastrée dans le mur. Bientôt il jeta sur la table une basse de papiers.

— Tenez, lisez, dit-il, convainquez-vous !

Le négociant se mit à parcourir les papiers. Sa physionomie changea peu à peu ; de temps en temps, il hochait la tête en réfléchissant profondément. Pendant ce temps, le gentilhomme disait d’une voix ironique et incisive :

— Ah ! vous ne vouliez pas me croire ! Eh bien ! basez votre décision sur ces papiers seuls. Il faut que vous sachiez tout : je ne veux plus revenir sur ce banc de torture. Il y a encore une lettre de change de quatre mille francs que je ne puis payer ! Vous le voyez : je suis plus que pauvre, j’ai des dettes !

— C’est cependant la vérité ! dit M. Denecker avec stupéfaction. Vous ne possédez rien. Je vois dans ces pièces que mon notaire est aussi le vôtre ; je lui ai parlé de votre fortune….., et il m’a laissé dans mon opinion, ou pour mieux dire dans mon erreur.

Comme si un rocher fût tombé de sa poitrine, le gentilhomme respira plus librement, et son visage reprit en quelque sorte la calme et digne expression qui lui était habituelle. Il se rassit et dit avec une froideur contenue :

— Maintenant que vous ne doutez plus de ma pauvreté, je vous demande, monsieur Denecker, quelles sont vos intentions.

— Mes intentions ? repartit le négociant ; mes intentions sont que nous restions bons amis comme devant ; quant au mariage, l’affaire tombe à l’eau ; nous n’en parlerons plus. Comment donc avez-vous fait votre compte, monsieur de Vlierbecke ? Je commence seulement à y voir clair : vous croyiez faire une bonne affaire et vendre votre marchandise aussi cher que possible.

— Monsieur ! s’écria le gentilhomme le regard flamboyant, parlez avec respect de ma fille ! Pauvre ou riche, n’oubliez pas qui elle est !

— Ne vous fâchez pas, ne vous fâchez pas, monsieur de Vlierbecke ! répondit le négociant ; je ne veux pas vous insulter, loin de là. Si vous eussiez réussi dans vos vues, je vous eusse peut-être admiré ; mais fin contre fin fait mauvaise doublure. Et puisque vous êtes si susceptible sur le point d’honneur, permettez-moi de vous demander si vous avez agi bien loyalement envers mon neveu en l’amadouant et en laissant grandir dans son cœur ce malheureux amour ?

M. de Vlierbecke courba la tête pour cacher la rougeur de la honte qui couvrait son front et ses joues. Il demeura affaissé sous une émotion mortelle jusqu’à ce que le négociant le rappelât à lui-même par ce mot :

— Eh bien ?