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V.

Le lendemain après midi, M. de Vlierbecke était assis dans son salon, la tête penchée sur ses mains. À coup sûr, il était plongé dans de profondes méditations, car son regard incertain errait dans le vague, tandis que sur son visage se peignaient tantôt le contentement et l’espoir, tantôt l’inquiétude et l’angoisse.

Lénora faisait de temps en temps une apparition dans la place, s’arrêtait un instant inquiète, allait de côté et d’autre, regardait par la fenêtre dans le jardin, et descendait ensuite les escaliers, comme si elle eût été pour suivie ; on ne pouvait méconnaître qu’elle attendait impatiemment quelque chose. Ses traits décelaient cependant une joie non dissimulée, qui laissait pressentir que son cœur débordait d’un doux espoir. Si elle eût pu voir quelles craintes venaient parfois troubler son père dans ses réflexions, elle n’eût peut-être pas, si gaie et si joyeuse, rêvé bonheur et avenir ; mais M. de Vlierbecke comprimait ses émotions devant elle et souriait à son impatience, comme si lui aussi il eût vu avec confiance un bonheur s’approcher.

Enfin, lasse d’aller et de venir, Lénora s’assit auprès de son père, et fixa sur lui son regard limpide et interrogateur.

— Ma bonne Lénora, dit-il, ne sois pas si agitée ; nous ne pouvons encore rien savoir aujourd’hui ; demain, peut-être ! Modère ta joie, mon enfant ; ta douleur sera d’autant plus facile à vaincre, si Dieu, dans cette affaire, décide contre ton espérance.

— Oh ! non, mon père, balbutia Lénora, Dieu me sera favorable ; je le sens à l’émotion de mon cœur.

— Tu seras donc bien heureuse, Lénora, si Gustave devient ton fiancé ? demanda M. de Vlierbecke en souriant.

— Ne jamais le quitter ! s’écria Lénora ; l’aimer, faire le bonheur de sa vie, sa consolation, sa joie ! animer par notre amour la solitude du Grinselhof ! Ah ! nous serons deux alors pour vous faire une douce existence ! Gustave est plus fort que moi pour chasser la tristesse qui obscurcit parfois votre front ; vous vous promènerez, vous causerez, vous chasserez, vous serez heureux avec lui ; il vous aimera comme un fils, il vous vénérera, il vous entourera des plus tendres soins ; son seul souci sur la terre sera de vous rendre heureux, parce qu’il sait que votre bonheur fait le mien, et moi, je le récompenserai de son dévouement ; je parsèmerai sa route des plus belles fleurs d’une âme reconnaissante. Oh ! oui, nous vivrons tous ensemble alors dans un paradis de joie et d’amour !

— Pauvre et ingénue Lénora, dit M. de Vlierbecke en soupirant, que le Seigneur entende ta prière ! Mais le monde est régi par des lois et des coutumes que tu ignores. Une femme doit suivre avec obéissance son mari partout où il lui plaît d’aller. Si Gustave choisit pour lui et toi une autre demeure, tu devras lui obéir sans réplique et te consoler peu à peu de mon absence. Une telle séparation me serait en d’autres circonstances très pénible ; mais, te sachant heureuse, la solitude ne m’attristera pas.

La jeune fille regardait avec surprise et effroi son père, tandis qu’il