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miséricordieux pour elle ! Grâce, protection pour mon enfant ; puisse son rêve se réaliser, ô mon Dieu !

Après cette courte, mais ardente prière, il s’affaissa sur la seconde chaise, posa avec précaution le bras sur la table, y appuya la tête et demeura immobile, les traits illuminés par le doux sourire du bonheur et par une vive expression d’admiration. La contemplation de la virginale beauté de sa fille devait être pour lui la source de joies ineffables, qui, par une magique puissance, lui faisaient oublier en un instant toutes ses douleurs, car ses yeux étaient fixés sur elle avec une douce extase, et sur sa physionomie se reflétait, comme dans un miroir fidèle, chaque émotion qui venait se peindre sur les traits délicats de la jeune fille. Tout à coup une rougeur pudique monta au front de celle-ci, ses lèvres articulèrent plus distinctement. Le père l’épiait avec une pénétrante attention, et bien qu’elle n’eût pas parlé, il saisit un de ces mots fugitifs qui allaient se perdre dans les airs avec son haleine. Ému d’une joie plus profonde encore, il murmura en lui-même : — Gustave ! elle rêve de Gustave ! Son cœur est d’accord avec mes vœux. Puissions-nous réussir ! Puisse Dieu nous être propice !…

M. de Vlierbecke demeura quelques instans encore en contemplation. Il se leva enfin, passa derrière la jeune fille et posa sur son front un long baiser. Rêvant encore à demi, elle ouvrit lentement les yeux ; mais à peine eut-elle reconnu celui qui l’éveillait, qu’elle l’enlaça d’un bond dans ses bras, se suspendit caressante à son cou en lui donnant le plus doux baiser filial, et l’accabla de mille questions.

Le gentilhomme se dégagea de l’étreinte de sa fille, et dit d’un ton de douce plaisanterie : — Apparemment, Lénora, il est inutile que je te demande aujourd’hui quelles beautés tu as découvertes dans le Lucifer de Vondel ; le temps t’a sans doute manqué pour commencer la comparaison de ce chef-d’œuvre de notre langue maternelle avec le Paradis perdu de Milton ?

— Ah ! mon père, balbutia Lénora, mon esprit se trouve en effet dans d’étranges dispositions. Je ne sais ce que j’ai, je ne puis même plus lire avec attention.

— Allons, Lénora, ne t’attriste pas, mon enfant. Assieds-toi, j’ai à t’apprendre une importante nouvelle. Tu ne sais pas pourquoi je me suis rendu en ville aujourd’hui, n’est-ce pas ? Eh bien ! c’est que nous avons demain du monde à diner.

La jeune fille, profondément étonnée, regarda son père d’un air interrogateur.

— C’est M. Denecker, tu sais, ce riche négociant qui se place auprès de moi au jubé, et qui habite le château d’Echelpoel ?

— Oh ! oui, je le connais, mon père ; il me salue toujours avec tant d’affabilité, et ne manque jamais de me tendre la main pour descendre de voiture quand nous arrivons à l’église. Mais…

— Tes yeux me demandent s’il vient seul ? Non, Lénora, une autre personne l’accompagnera…

— Gustave ! s’écria involontairement la jeune fille d’un ton de joyeuse surprise et en rougissant en même temps.

— En effet, c’est Gustave, répondit M. de Vlierbecke. Ne tremble pas pour