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entendoit pas parler ; ainsi nous leur avons l’obligation d’une chose si commode pour le commerce. »

Un autre passage de l’Histoire de la princesse de Paphlagonie nous apprend qu’un grand changement était récemment survenu dans la vie et les habitudes de Mme  de Sablé, et que depuis quelque temps elle avait quitté la Place-Royale pour aller habiter au faubourg Saint-Jacques, auprès de Port-Royal : « La princesse Parthénie s’éloigna de la cour et alla demeurer parmi un grand nombre de vierges qui s’étoient retirées pour servir aux dieux ; c’étoit un lieu comme l’on pourroit dire maintenant un monastère. Là, elle conversoit quand elle vouloit avec ces dames, et quand elle vouloit aussi, elle voyoit ses amies. Pendant le voyage du roi de Misnie de comte de Maure), la reine sa femme alloit quelquefois se retirer avec elle… Elle ne confirmoit pas la princesse Parthénie dans la résolution qu’elle avoit prise de devenir dévote. Je dis de le devenir, car je sus qu’elle s’étoit retirée avant que d’être fort touchée, espérant cet effet du bon exemple. Assurément le lieu de sa retraite étoit fort propre à inspirer de bons sentimens ; c’étoit une société de personnes d’une vertu et d’un mérite tout extraordinaire, qui causoit même de l’envie aux gens du siècle, parce qu’il y avoit peu de personnes ailleurs qui pussent s’égaler à ceux qui composoient cette assemblée. » Voilà les anachorètes dont parlait Mme  de Sablé à la fin du billet à la comtesse de Maure sur la Relation de l’Ile imaginaire.

Déjà en effet depuis plusieurs années, avant 1659, les chagrins domestiques, la perte de sa fortune et de ses espérances, l’âge surtout, les approches de cette fin toujours présente à son imagination, lui avaient inspiré des pensées de plus en plus sérieuses. Suivant la coutume du temps, elle avait songé à mettre un intervalle entre la vie et la mort, et à se retirer du monde.

On ne peut méconnaître une teinte assez marquée de mélancolie mêlée à une politesse affectueuse dans ce billet, écrit vraisemblablement vers l’époque où nous sommes arrivés, et adressé à un ancien ami qui la négligeait :


« Il y a longtemps que je souhaitois de vous entretenir pour faire des réflexions avec vous sur vous-même ; mais comme j’apprens que vous ne me voulez plus voir, il faut que je vous écrive tout ce que j’ai pensé sur la misère et sur le néant du monde. Avouez qu’il n’y a jamais eu une amitié qui parût si bien établie que la nôtre, elle estoit fondée sur l’estime, sur l’agrément de part et d’autre et sur une confiance réciproque. Cependant, sans qu’il se soit rien passé qui ait dû détruire ni ébranler de tels fondemens, vous m’avez quittée, et mesme dans un temps où je faisois toutes choses pour vous retenir. Il ne s’est point passé de jour dans votre maladie que je n’aye envoyé savoir de vos nouvelles. Vous avez dit à un de mes gens, quand vous