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un refus. Bien loin d’étaler le luxe de paroles qui lui était habituel, le notaire se borna à quelques mots de froide politesse, et vint s’asseoir devant M. de Vlierbecke en gardant un silence qui était une muette interrogation.

Humilié et blessé de rencontrer un accueil aussi peu bienveillant, M. de Vlierbecke fut saisi d’un frisson glacial et pâlit légèrement ; mais il reprit courage aussitôt, et dit d’un ton suppliant : — Veuillez m’excuser, monsieur le notaire. Pressé par une impérieuse nécessité, je viens encore une fois faire appel à votre bonté et solliciter de votre générosité un petit service.

— Et que désire monsieur de moi ? demanda le notaire avec méfiance.

— Je voudrais, monsieur le notaire, que vous me trouvassiez encore une somme de mille francs, ou même moins, garantie par une hypothèque sur mes propriétés. Toutefois ce n’est pas là le but spécial de ma visite ; j’ai absolument besoin d’argent aujourd’hui, et je désire que vous me prêtiez deux cents francs ce matin même. J’ose espérer, monsieur le notaire, que vous ne me refuserez pas ce léger secours, qui doit me sauver d’un extrême embarras.

— Mille francs ? sur hypothèque ? grommela le notaire. Et qui en servira la rente ? Vos biens sont grevés au-delà de leur valeur.

— Oh ! vous vous trompez, monsieur le notaire ! s’écria M. de Vlierbecke avec une profonde émotion.

— Pas le moins du monde. Sur l’ordre des personnes qui vous ont avancé de l’argent, j’ai fait faire l’estimation de toutes vos propriétés au taux le plus élevé. Il en résulte que vos créanciers ne recouvreront leurs capitaux que dans le cas d’une vente extrêmement avantageuse. Vous avez fait une irréparable folie, monsieur ; si j’eusse été à votre place, je n’aurais pas sacrifié toute ma fortune et celle de ma femme pour secourir et sauver un ingrat, je dirais presque un trompeur, fût-il ou non mon frère !

M. de Vlierbecke, accablé par un pénible souvenir, baissa la tête, mais laissa sans réponse l’accusation portée contre son frère. Ses doigts serraient convulsivement la tabatière d’or. Le notaire reprit :

— Par cette imprudente action, vous vous êtes plongés dans la misère, vous et votre enfant, car vous ne pouvez plus le dissimuler. Pendant dix années, — Dieu sait au prix de quelles souffrances, — vous avez pu garder le secret de votre ruine ; mais l’instant inévitable approche où vous serez forcé de vendre vos biens…

Le gentilhomme fixait sur le notaire un regard où se lisaient l’angoisse et le doute.

— Il en est ainsi cependant, poursuivit le notaire. M. de Hoogebaen est mort pendant son voyage en Allemagne. Les héritiers ont trouvé dans la maison mortuaire l’obligation de quatre mille francs à votre charge, et m’ont donné avis qu’il ne fallait plus songer à la renouveler. Si M. de Hoogebaen était votre ami, ses héritiers ne vous connaissent pas. Pendant dix ans, vous avez négligé d’amortir cette dette ; vous avez payé deux mille francs de rente ; dans votre propre intérêt, il est temps que cela finisse. Il vous reste encore quatre mois, monsieur de Vlierbecke, quatre mois avant l’échéance de l’effet…

— Encore quatre mois ! dit d’une voix sombre le gentilhomme, quatre mois, et alors, ô mon Dieu !…

— Alors vos biens seront vendus de par la loi. Je comprends que cette perspective vous soit pénible ; mais, puisque vous êtes placé devant un destin