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de leur peur de la contagion, du soin qu’elles prennent de leur santé, et aussi d’un autre défaut de Mme  de Sablé, que nous n’avons pas encore indiqué et qu’elle avait pris avec l’âge, le goût et le génie de la friandise ; en même temps on vante sa politesse et son esprit, et sous les bouffonneries que le genre permettait et exigeait même, on sent pour elle comme pour son amie la sérieuse considération qui leur était due. Voici le récit burlesque et fidèle que fait Mademoiselle de la manière dont les deux amies passaient leur temps à la Place-Royale ; on croit lire Tallemant, mais un Tallemant de bonne compagnie : « Il n’y avoit point d’heures[1] où elles ne conférassent des moyens de s’empêcher de mourir, et de l’art de se rendre immortelles. Leurs conférences ne se faisoient pas comme celles des autres : la crainte de respirer un air ou trop froid ou trop chaud, l’appréhension que le vent ne fût trop sec ou trop humide, une imagination enfin que le temps ne fût pas aussi tempéré qu’elles le jugeoient nécessaire pour la conservation de leur santé, étoit cause qu’elles s’écrivoient d’une chambre à l’autre. On seroit trop heureux si on pouvoit trouver de ces billets et en faire un recueil. Je suis assurée que l’on y trouveroit des préceptes pour le régime de vivre, des précautions jusques au temps propre à faire des remèdes, et des remèdes même dont Hippocrate et Gallien n’ont jamais entendu parler avec toute leur science ; ce seroit une chose fort utile au public, et dont les facultés de Paris et de Montpellier feroient bien leur profit. Si on trouvoit leurs lettres, on en tireroit de grands avantages en toutes manières, car c’étoient des princesses qui n’avoient rien de mortel que la connoissance de l’être. Dans leurs écrits, on apprendroit toute la politesse du style et la plus délicate manière de parler sur toutes choses. Il n’y a rien dont elles n’ayent eu connoissance : elles ont su les affaires de tous les états du monde, par la participation qu’elles y ont eu de toutes les intrigues des particuliers, soit de galanteries ou d’autres choses où leurs avis ont été nécessaires, tantôt pour appaiser les brouilleries et les querelles, tantôt pour les faire naître selon les avantages que leurs amies en pouvoient tirer ; enfin c’étoient des personnes par les mains desquelles le secret de tout le monde avoit à passer. La princesse Parthénie avoit le goût aussi délicat que l’esprit : rien n’égaloit la magnificence des festins qu’elle faisoit ; tous les mets en étoient exquis et sa propreté a été au-delà de tout ce qui s’en peut imaginer. C’est de leur temps que l’écriture a été mise en usage : auparavant on n’écrivoit que des contrats de mariage, et des lettres il ne s’en

  1. Histoire de la princesse de Paphlagonie, imprimée en 1659, avec la Relation de l’Ile imaginaire, petit in-4o, p. 79 et 80.