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LE


GENTILHOMME PAUVRE


SCÈNES DE LA VIE FLAMANDE.[1]






I.

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Vers la fin du mois de juillet 1842, une calèche découverte roulait sur l’une des trois grandes chaussées qui conduisent des frontières hollandaises à Anvers. Bien que cette calèche eût été nettoyée et cirée avec une évidente sollicitude, tout en elle portait les traces d’un certain dénuement. La caisse, ébranlée par un long usage, se disjoignait sous les cahots ; elle vacillait de côté et d’autre sur la soupente, et craquait, comme un squelette, dans les moyeux usés. La cape à demi rabattue resplendissait au soleil, grâce à l’huile dont elle était enduite ; mais cet éclat d’emprunt ne dissimulait pas les déchirures et les crevasses nombreuses qui en sillonnaient le cuir. La poignée des portières et les autres parties en cuivre étaient, à la vérité, soigneusement écurées ; mais les vestiges d’argenture, encore visibles dans le creux des ornemens, attestaient une ancienne opulence grandement amoindrie, sinon totalement disparue.

L’équipage était attelé d’un grand et robuste cheval, dont le pas court et pesant eût révélé sans peine à un connaisseur qu’il était ordinairement employé à de plus rudes travaux, et qu’il avait l’habitude de traîner le chariot

  1. C’est la Revue des Deux Mondes qui a la première en France fait connaître les romans de M. Henri Conscience. — Voyez le Romancier de la Flandre, par M. Saint-René Taillandier, n° du 15 mars 1849. — Depuis, M. Henri Conscience a donné plusieurs œuvres nouvelles, et nous ne pouvons mieux faire, pour continuer le travail de M. Saint-René Taillandier et en même temps donner une idée nette de la manière du romancier de la Flandre, que d’accueillir ici une de ses productions les plus récentes et les plus justement appréciées, qui a été traduite, sous les yeux de l’auteur, par M. Léon Wocquier, professeur à la faculté des lettres de Gand.