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fallait certes que le délit qu’il voulait punir fût bien fréquent pour qu’il ait songé à faire cette réserve. Les registres des échevinages et ceux des cours criminelles offrent plusieurs exemples de crimes pareils à ceux que Charlemagne mentionne dans ses lois. En 1546, le parlement de Paris condamna un nommé Guyot Vuide à être pendu et ensuite brûlé sur le même bûcher qu’une vache sa complice. Une semblable exécution eut lieu le 5 janvier 1566. Jean de la Salle fut également brûlé en compagnie d’une ânesse qu’on eut soin d’assommer avant de la jeter dans les flammes. Enfin, en 1606, à Chartres, une chienne subit le même supplice pour le même crime, et une autre, qui était contumace, fut pendue en effigie. Nous sommes loin, on le voit, de ces âges héroïques où les saints, à force de douceur et de vertus, apprivoisaient les hôtes sauvages des déserts et des forêts. Aux édifians et poétiques récits de la légende se sont substitués peu à peu des mystères d’mie hideuse réalité, et l’homme avili par ses vices a dépravé jusqu’aux animaux.

Les faits dont nous venons de parler, et sur lesquels nous n’insisterons pas plus longtemps, sont heureusement assez rares pour l’honneur de notre espèce, et ceux que l’on rencontre le plus fréquemment rentrent dans la catégorie des accidens ordinaires. Le manque absolu de police, l’habitude où l’on était de laisser vaguer les animaux au milieu des rues, rendaient ces accidens nombreux, et au lieu d’en prévoir le retour par de sages mesures, on se bornait à sévir contre les bêtes qui les avaient causés. Ce sont surtout les truies et les vérats qui figurent, comme on dirait de nos jours, sur le banc des prévenus, pour avoir déchiré ou dévoré des enfans. En 1386, le juge ordinaire de Falaise condamna un de ces animaux à être mutilé d’abord à une patte de devant et à la tête, parce que sa victime avait elle-même été blessée au visage et au bras, et ensuite à être pendu au pilori. On couvrit la truie, avant de la conduire au supplice, de vêtemens d’homme, et, suivant l’usage, le bourreau qui l’exécuta reçut pour sa peine et salaire dix sols et une paire de gants. Les procès-verbaux de ces sortes d’exécutions, ainsi que les jugemens qui les avaient motivées, étaient transcrits avec une scrupuleuse exactitude sur les registres criminels. Dans les villes de commune, la cloche du beffroi sonnait à toute volée lorsque le coupable sortait de sa prison, escorté de sergens et d’archers, jusqu’au moment où justice était faite, et on punissait le supplicié jusque dans son cadavre, qu’on traînait à la voirie ou qu’on enterrait dans un fumier.

Quand on se reporte aux croyances du moyen âge, à son formalisme, on comprend jusqu’à un certain point ces étranges exécutions juridiques : le délit était flagrant, irrécusable, car le sang de l’homme avait coulé; mais il est beaucoup plus bizarre encore qu’on