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les armoiries a toujours pour raison, soit un fait historique, soit une allégorie qui renferme une moralité. En ce qui touche les faits historiques, quelques exemples pris au hasard nous montreront comment l’histoire était comprise et traitée par les héraldistes.

La ville de Glasgow et plusieurs de ses évêques portent dans leurs armoiries des saumons avec l’anneau dans la gueule. La présence du saumon pourrait s’expliquer par ce fait très naturel, que ce poisson était très commun dans les eaux de la Clyde, et qu’il offrait aux habitans de Glasgow une précieuse ressource; mais l’anneau, comment l’expliquer ? Les adeptes de la science héroïque n’en sont pas embarrassés, et voici ce qu’ils racontent. Une jeune femme d’une rare beauté et d’une sagesse exemplaire laissa par mégarde tomber dans la Clyde son anneau conjugal. Son mari s’imagina qu’elle l’avait donné, comme gage adultère, à quelque amant inconnu, et il s’emporta contre elle en reproches et en injures, la menaçant des dernières rigueurs, si elle n’avouait point sa faute. La pauvre femme eut beau protester de son innocence. Incrédule parce qu’il était jaloux, il refusa de l’entendre, et la somma de représenter l’anneau, en déclarant qu’il n’admettrait que cette seule preuve de son innocence. L’épouse fidèle, indignement soupçonnée, ne renonça point à se justifier; elle alla se jeter aux pieds de l’évêque saint Kentigern en le suppliant de rendre sa vertu manifeste. Le saint, touché de ses larmes, se rendit sur les bords de la Clyde, se mit en prière, et bientôt on vit paraître au-dessus de l’eau un saumon qui tenait dans sa gueule l’anneau perdu, et qui vint, en nageant doucement, le déposer sur la rive. — La présence de l’aigle blanc dans les armes de la Pologne se rattache à un fait moins dramatique, mais tout aussi extraordinaire. Quand les polonais vinrent, en 550, de l’Esclavonie s’établir, sous la conduite de leur chef Leko, sur les bords de la Vistule, ils creusèrent la terre pour y établir les fondemens d’une ville, et trouvèrent à une grande profondeur une couvée d’aigles d’une espèce inconnue, couverts d’une laine blanche comme celle des agneaux. Ces merveilleux oiseaux vivaient là sans doute depuis des siècles, car il n’existait autour d’eux aucune trace d’un passage souterrain qui leur eût permis de remonter à la surface du sol. L’aigle étant l’emblème de l’empire et de la domination, les compagnons de Leko virent dans cette découverte un heureux présage, et placèrent dans leurs armes l’oiseau à la blanche toison. — Adolphe de Clèves avait adopté le cygne en souvenir d’un chevalier qui avait fait un long voyage dans une petite barque, remorquée par un cygne, pour épouser l’unique héritière de la maison de Clèves, dont il était éperdûment épris. — La truie de sable des porcelets d’Espagne et d’Arles rappelait, comme le saumon de Glasgow, un fait miraculeux. Une dame de cette maison, étant enceinte, rencontra une pauvre femme qui portait dans ses bras deux