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Leur corps se termine en queue de dragon, et alors ils deviennent des lions dragonnés, en queue de poisson, et ils se nomment des lions marinés; quelquefois ils se combinent avec le renard et lui empruntent sa queue, comme pour montrer, disent les héraldistes, que la ruse ne nuit point au courage, et justifier le proverbe, que, la peau de noble, c’est-à-dire du lion, défaillant, il faut y coudre un morceau de celle de goupil. Tandis que ce dernier, dans les sculptures des églises, se couvre, comme nous l’avons vu, du capuchon des moines, le lion, dans les peintures chevaleresques, se couvre du haume des chevaliers, et souvent il porte une couronne, parce qu’il est le roi des quadrupèdes et non parce qu’il est comte ou marquis, comme le veulent certains écrivains, aussi mal renseignés sur l’histoire de la noblesse que sur la zoologie du moyen âge. L’aigle, roi comme le lion, se montre souvent comme lui avec la couronne, et subit sous le pinceau des peintres les mêmes transformations. Il a tour à tour un seul corps et plusieurs têtes, une seule tête et deux corps, quelquefois même une tête de femme, pour exprimer une maison tombée en quenouille. Il tient une épée ou la boule du monde, et sa queue se contourne en arabesques, ou s’épanouit en trèfle, se bifurque, comme celle du scorpion, en deux pointes aiguës.

Nous avons vu dans l’architecture religieuse les animaux, assimilés à l’homme, imiter quelques-unes de ses actions, tourner le fuseau, jouer des instrumens de musique, se livrer aux travaux du ménage, comme pour justifier une fois de plus cet axiome d’Aristote, que l’homme et la bête ont des facultés analogues. Le même fait se reproduit dans le blason. Les agneaux qui figurent dans les armes de plusieurs villes portent entre leurs pattes, comme des sergens d’armes à la tête de leurs soldats, des lances aux banderoles flottantes ; ils ont l’attitude du commandement, et retournent la tête pour voir si on les suit. Le griffon des Esterhazy agite de la patte droite un large cimeterre, et présente de la gauche un bouquet de roses. Certaines figures zoologiques, dans le blason des abbayes, marchent gravement en s’appuyant sur la crosse abbatiale; d’autres jouent des instrumens de musique, et l’on trouve même un lion en habit de berger, portant la houlette. En étudiant en détail toutes ces bizarreries, on se demande, à part quelques figures dont le sens allégorique est facile à saisir, comment il a pu venir à l’esprit des hommes de faire de ces représentations l’emblème héréditaire des familles et un hochet pour la vanité. A une époque où le blason était l’homme, la question était trop importante pour qu’on n’essayât point de la résoudre. Aussi tous les héraldistes, à partir du XIVe siècle jusqu’au XVIIe en ont-ils cherché la solution, en reproduisant exactement, pour toute la partie zoologique, les écrivains mystiques, les encyclopédistes et les auteurs des Bestiaires. Suivant eux, la présence des animaux dans