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mais par regret de mourir de la main même de celui qu’il avait servi si fidèlement. En le voyant dans cette attitude suppliante, Renaud perd courage. Que faire cependant ? Sa femme et ses enfans sont là qui vont mourir de faim. Tout à coup une idée lumineuse traverse son esprit, et, pour concilier ce qu’il doit à son cheval et ce qu’il doit à sa famille, il ouvre une veine à Bayard, et fait boire à sa femme et à ses fils le sang généreux qui en jaillit.

Après bien des péripéties et une foule d’aventures à travers lesquelles nous ne les suivrons pas, les quatre fils Aymon font la paix avec Charlemagne, qui leur accorde de grands privilèges, tout en gardant à Bayard une implacable rancune, et en se promettant bien d’en finir à la première rencontre. L’occasion ne se fait point attendre. Charlemagne, se promenant un jour sur un pont de la Meuse, se trouve face à face avec l’illustre destrier, et donne ordre de le jeter dans la rivière. Les gardes de l’empereur garrottent aussitôt le pauvre Bayard. lui attachent au cou une pierre énorme, et le précipitent du haut du pont. En tombant, il disparaît sous l’eau. — Enfin, dit Charlemagne, le voilà mort. — Charles se trompait. Bayard, dans ce péril suprême, avait gardé toute sa présence d’esprit. En touchant le sable du fleuve, il fait un effort désespéré, se débarrasse de la pierre et des liens, et gagne rapidement la rive, à la grande surprise de l’empereur, qui ne peut en croire ses yeux ; là, il secoue l’eau dont il était trempé, et, présentant la croupe au maître de l’empire des Francs, il lance, comme pour le narguer, trois ruades vigoureuses, puis part avec la rapidité de la flèche, pour se réfugier dans la forêt des Ardennes. Si l’histoire ne ment, ajoute le trouvère, Bayard, fuyant toujours l’approche des hommes, vit paisible et fier depuis plusieurs siècles dans les vastes clairières de la forêt, et chaque année, à la fête de la Saint-Jean-Baptiste, on l’entend hanir moult clerment.

Ainsi, dans les poèmes chevaleresques, tandis que Roland, Charlemagne, Arthur, le Cid donnent aux hommes des leçons d’honneur et de loyauté, les chevaux leur donnent en même temps de beaux exemples de courage, de prudence et de dévouement. Associés par les traditions aux preux dont ils partagent les exploits, ils jouent comme eux les premiers rôles de ce drame splendide qu’on appelle la chevalerie ; ils ont, comme les peuples, leurs temps héroïques, leur histoire idéale, et quand le scepticisme moderne écarte le nuage fatidique qui les avait environnés si longtemps, ils reparaissent, immortalisés dans un type nouveau, sous le nom de Rossinante.

Le lion, qui, dans les traités d’histoire naturelle et les Bestiaires, occupe toujours la première place, se trouve dans les poèmes dont nous venons de parler effacé par le cheval ; mais s’il n’apparaît qu’au second plan, il se montre encore digne de son titre glorieux de roi. Il est vaillant, généreux, reconnaissant ; il aime la guerre, et