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nombre en prose et même en vers, et publia le tout dans un beau volume in-4o admirablement imprimé et aujourd’hui devenu fort rare[1], sous ce titre : Divers portraits. On n’en tira que trente exemplaires[2], qui ne furent pas mis dans le commerce, et dont Mademoiselle fit des présens. L’ouvrage eut un succès prodigieux. Ce qui avait fait la fortune des romans de Mlle  de Scudéry, le plaisir de voir son portrait un peu embelli, la curiosité de voir aussi celui des autres, la passion qu’a toujours eue et qu’aura toujours la bourgeoisie de savoir ce qui se passe dans le monde de l’aristocratie, qui ne s’ouvrait pas alors très facilement, les noms des personnes illustres qui se trouvaient là pour la première fois décrites avec le plus grand détail au physique et au moral, de grandes dames transformées tout à coup en écrivains et inventant sans s’en douter une nouvelle manière d’écrire dont aucun livre ne donnait la moindre idée et qui était le parler ordinaire des gens de qualité ; ce je ne sais quoi de naturel, de familier, d’aisé et en même temps d’agréable et de souverainement distingué, tout cela charma la cour et la ville, et les premiers jours de l’année 1659 étaient à peine écoulés, qu’on vint demander à Mademoiselle la permission de donner de l’ouvrage privilégié une édition nouvelle à l’usage de tout le monde. Cette édition ne suffit pas ; il en fallut une autre encore et dans cette même année[3]. On avait déjà le goût des portraits en France ; ils

  1. Un de ces exemplaires, de condition très médiocre, vient d’être vendu 350 fr. à la vente de la bibliothèque de M. de Bure.
  2. Segrais, Ibid, p. 171 : « On n’en a tiré que trente exemplaires, et afin qu’on n’en tirât pas davantage, nous étions présens lorsqu’on tirait chaque feuille, et à la trentième nous faisions rompre la planche, de sorte qu’il n’a pas été possible à l’imprimeur d’en tirer un plus grand nombre. »
  3. On nous permettra ici quelques détails de bibliophilie qui ne sont pas sans intérêt littéraire. Les Divers portraits ont été composés pendant les années 1657 et 1658. Ils ont paru in-4o avec ce seul ti5re : Divers portraits, imprimés en l’année 1659, et au milieu les armes de Mademoiselle. On ignore la date précise de l’impression, parce qu’il n’y a point de privilège ; mais il faut qu’elle soit des premiers jours de janvier, car la seconde édition, donnée par Sercy et Barbin, en un volume in-12 de 325 pages, sous ce titre : Recueil des portraits et éloges en vers et en prose, dédié à Son Altesse Royale Mademoiselle, non-seulement porte ce même millésime de 1659, mais contient ces mots à la fin du privilège : achevé d’imprimer le 25 janvier 1659. Cette seconde édition n’est pas une pure réimpression des Divers portraits : on en a négligé quelques-uns, et des meilleurs, tels que celui de Mademoiselle par elle-même, celui de Mme  de Châtillon par elle-même, etc., et on en a ajouté plusieurs qui sont fort bons, par exemple ceux de Mlles d’Orléans par M. de Bouillon, avec un plus grand nombre de très-médiocres, et dont les originaux ne valent guère mieux que les auteurs. C’est un recueil infiniment inférieur à tous égards à celui de Mademoiselle : il n’a point de table, et il y a des fautes souvent grossières à chaque page ; mais il y faut remarquer une préface d’une plume inconnue, où l’on fait voir que les Portraits ne viennent point d’une imitation de Philostrate ou de Théophraste, que ces dames n’avaient pas lu, mais tout simplement du succès