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sans se reposer et sans battre des flancs ! L’homme et la bête, s’unissaient par les liens indissolubles d’une sympathie mystérieuse; ils couraient les mêmes aventures, affrontaient les mêmes dangers et jouissaient de la même gloire.

Vaillentin, Broiefort, Ferrant, Moriel, Marchegay, Liart, Fauviel, Beaucent, Bayard, Bibieça, sont aussi populaires au moyen âge que Guillaume au Court-Nez, Roland, Ogier le Danois, Perceforest, Lancelot, le Cid, les quatre fils Aymon. Si brillantes que soient les qualités dont l’imagination des trouvères ou des troubadours orne les héros du cycle carlovingien ou du cycle de la table ronde, il arrive souvent que les chevaux, en fait de vertus chevaleresques et surtout de bon sens et d’esprit de conduite, sont beaucoup mieux partagés que ceux qui les montent. Les guerriers, qui connaissent leurs grandes qualités, les traitent avec la plus grande douceur; ils n’usent jamais à leur égard du fouet ni de l’éperon, et s’adressent toujours à leur courage et à leur amitié.

Dans le poème de la Bataille d’Aleschans, Guillaume, abandonné des siens, est sur le point de tomber entre les mains des Sarrasins; il met pied à terre tout pensif, et s’adressant à sa monture : « Cheval, lui dit-il, vous êtes bien fatigué; si vous aviez pris seulement quatre jours de repos,. j’irais me précipiter au milieu des Sarrasins; mais, je le vois, vous êtes fourbu, et cependant je ne vous gronderai pas, car vous m’avez trop bien servi. Donnez-moi, je vous en prie, une nouvelle preuve d’amitié, et je ferai tout pour vous montrer que je ne suis point ingrat. Si vous voulez me conduire jusqu’à Orange, de quatre mois d’ici vous ne porterez la selle; vous vous reposerez tout à votre aise, vous serez étrillé quatre fois le jour, et ne boirez que dans des vases d’or. » Le cheval, après avoir attentivement écouté ce discours, hennit avec force, agite la tête, gratte la terre avec son pied et reprend vivement sa course vers Orange.

Le coursier du chevalier Graëlent n’était pas moins dévoué. Un jour que cet illustre Breton courait après une fée qu’il aimait, en la priant de le recevoir en grâce, celle-ci, pour échapper à sa poursuite, s’élança dans une rivière rapide et profonde. Graëlent, à qui l’amour fit oublier le danger, s’y jeta lui-même après elle à cheval et tout armé. Touchée de tant de courage et de tendresse, la fée lui tendit la main au moment où il allait périr, et le recevant à merci, elle le conduisit au pays d’Avallon. Le cheval, pendant ce temps, luttait de son mieux contre le flot qui l’entraînait, et, après bien des efforts, il parvint à gagner la rive. Son premier soin, quand il eut secoué sa crinière humide, fut de chercher son maître. Il l’appela par des hennissemens répétés, courut sur les bords du fleuve, dans les plaines, sur les coteaux, dans les clairières îles forêts; comme Orphée à la recherche d’Eurydice, il ne se reposait ni le jour ni la