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impérial, et le noble vieillard, fidèle à son affection pour Houang, a demandé qu’on le lui donnât de nouveau pour adjoint. L’insurrection a produit cela de bon : elle a fait sentir à l’héritier de Tao-kouang que l’appui des barbares pouvait lui devenir nécessaire, et il a cessé de regarder comme un crime de ne pas mépriser les nations de l’Occident. Quant à Tsaô, il n’avait jamais été bien coupable de cette indulgence pour les barbares; il n’avait jamais paru éprouver pour nous plus de sympathie qu’il ne nous en inspirait : aussi n’avait-il pas été disgracié. Il est en ce moment intendant de deux provinces, ce qui, dans le langage de l’Almanach impérial de Pékin, ne veut pas dire qu’il les administre, mais qu’il en surveille l’administration, comme on le soupçonnait déjà de surveiller les négociations de Ki-yng. Pan-se-tchen continue à manger libéralement ses millions.

Et cependant l’empire est en feu; la révolte promène du sud au nord le massacre et le pillage. Il est à remarquer qu’aucun des quatre commissaires n’a pris le parti de l’insurrection; en outre, pour les insurgés, Ki-yng est un ennemi, ne fût-ce que par sa race, puisqu’il est Tartare; Houang, quoique Chinois, est un loyal sujet de l’empereur. Si l’insurrection triomphe, ils seront donc entrâmes dans la déroute de la dynastie. J’ai peine à croire que la civilisation chinoise ait quelque profit à retirer de la victoire d’une cause qui a contre elle des hommes comme Ki-yng et comme Houang. Et d’ailleurs pourquoi en Chine résulterait-il cette fois d’une agitation un progrès ? Ce serait peu conforme à tous les antécédens du pays. L’histoire du Céleste Empire est pleine de révoltes et de guerres civiles; chaque dynastie nouvelle a planté ses racines dans des torrens de sang et après des luttes de dix ou douze années, et ces mouvemens à la surface n’ont rien changé au fond antique et immuable des traditions. Il serait encore possible que tout cela n’aboutît, après quinze ans de carnage, qu’à installer une dynastie nouvelle et à couper cent cinquante millions de queues. S’il n’y avait que les Chinois pour faire sauter par-dessus les vieilles barrières la civilisation chinoise, je crois qu’elle aurait encore longtemps à rester immobile; mais il y a les peuples de l’Occident, il y a cette race européenne qui est évidemment destinée à régner sur ce globe, dont elle a la première connu et parcouru la surface; il y a les affinités commerciales du thé et de l’opium; il y a les victoires remportées par l’Angleterre, les traités anglais, américain, français, espagnol, et, après tous ces traités, le nouveau traité russe pour la navigation du fleuve Amour. Le monde occidental presse aujourd’hui le royaume du milieu par terre et par mer : c’est lui qui y apportera les grandes vicissitudes et les changemens profonds.


THEOPHILE DE FERRIERE LE VAYER.