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Tsaô avait l’air d’un singe qui fait la grimace; il était petit, maigre, marqué de petite vérole, avec le regard d’une chauve-souris devant un rayon de soleil, il emmiellait ses phrases, tout en tordant sa bouche sous ses moustaches grêles comme si elle eût distillé du vinaigre; il prenait des poses, il étudiait son geste, il écoutait le son de sa voix avec complaisance. C’était un pédant qui avait d’ailleurs une haute idée de la civilisation chinoise, dont il se regardait comme un des plus remarquables représentans.

La conversation se passa en complimens réciproques, comme il convenait à une première visite, en présence d’une assistance aussi nombreuse. M. de Lagrené montra son service en porcelaine de Sèvres au vice-roi, qui l’admira en connaisseur; puis il le conduisit dans la salle à manger, où une très belle collation avait été préparée. J’étais assis entre Pan-se-tchen et Tsâo, qui parurent goûter beaucoup le vin de Champagne, mais affectionner fort peu les vins rouges. Mon répertoire de mots chinois se bornait à trois; cependant nous nous levâmes de table les meilleurs amis du monde.

Ki-yng fit à M. de Lagrené les adieux les plus tendres, et il ne le quitta qu’après l’avoir serré plusieurs fois dans ses bras. Je le reconduisis jusqu’à sa chaise. Les gongs recommencèrent à frapper, les flûtes et les cornemuses à sonner, les Tartares à monter à cheval, les fantassins à porter leurs lances, les porte-bannières leurs dragons, les clercs leurs parasols, et toute l’escorte à défiler dans l’ordre qu’elle avait observé en arrivant.

Quatre jours après, nous nous dirigions vers la pagode habitée par le vice-roi. L’amiral Cécille et quelques officiers de sa division s’étaient joints à l’ambassade. Chacun de nous était porté dans une chaise par deux Chinois en jaquette bleue et au large chapeau de feuilles de bambous. C’était une procession de chaises qui se déroulait, comme un long et mince ruban, sur la route, bordée d’abord par des rizières, puis ombragée par un bois épais. Notre arrivée fut saluée par trois salves de boîtes, à défaut de canons, et par une fanfare de musique militaire à la façon chinoise. Les cavaliers et les soldats étaient sous les armes. Une foule de clercs subalternes et de petits mandarins se pressait sur notre passage. La grande cour de la pagode avait été transformée en un camp tartare. Les tentes, les chevaux, les bannières, les ares, les lances, les boucliers, tout rappelait le moyen âge; on pouvait se croire en plein Arioste; nos porteurs traversèrent en courant cette multitude agitée et bruyante, et s’arrêtèrent devant la porte de la pagode, dont l’architecture bizarre se dessinait sur un ciel d’azur, et que décoraient des banderoles de diverses couleurs.

Houang et Pan-se-tchen vinrent au-devant de nous et nous firent entrer dans une grande salle qui avait un caractère extraordinaire.