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Par malheur, le secret d’une politique si généreuse, qui était chez le premier Bourbon un sentiment plus qu’un calcul, et résidait dans son âme plus que dans son esprit, descendit avec lui dans la tombe. Le poignard de Ravaillac trancha, avec cette vie précieuse, le cours à peine commencé des plus belles destinées de la France. Après cette trêve de Dieu, l’histoire intérieure de notre pays reprend son aspect accoutumé et recommence la série de ses épreuves alternatives : nouveaux combats entre les deux ordres, nouveaux efforts du tiers-état pour conquérir une influence régulière et une indépendance personnelle, et, à la suite d’une nouvelle démonstration d’impuissance, dernière et suprême intervention du pouvoir royal, qui cette fois marche à son but, la hache et les faisceaux levés, avec l’impitoyable énergie d’un conquérant, ou s’étale dans sa victoire avec la majesté d’un triomphateur, suivant qu’il est revêtu de la robe rouge de Richelieu ou du manteau royal de Louis XIV.

Le tiers-état se présente dans cette dernière crise sous une forme toute nouvelle, et qui empêche au premier aspect de le reconnaître. Il a des allures et des prétentions aristocratiques. Entre le tiers-état et la noblesse s’était formé, par le cours du temps, par le hasard des lois et le progrès des mœurs, un intermédiaire naturel, tenant de l’un par son extraction et de l’autre par son caractère, issu de la bourgeoisie et jouissant d’une puissance aristocratique et héréditaire. Nous avons nommé les parlemens. Les parlemens étaient la plus haute expression, le point culminant du développement acquis par le tiers-état pendant tant de siècles de patience et de travail. A force de richesses et de savoir, les officiers de justice en France avaient presque comblé l’abîme qui séparait les divers ordres et escaladé les rangs escarpés où siégeait l’aristocratie. La vénalité des charges, sans rien ôter au rare mérite des magistrats, se trouvait avoir donné à tous les offices de judicature la condition et presque la vertu des propriétés patrimoniales. Possesseurs de fonctions qu’ils avaient payées à deniers comptans, les magistrats du parlement les léguaient, les substituaient à leur fils, et fondaient ainsi des familles dont le nom partout répété et la clientèle chaque jour étendue balançaient l’autorité pâlissante des maisons aristocratiques. Une charge devenait un fief qui comptait pour vassaux une innombrable quantité d’avocats, de justiciables et de gens de loi. Le métier de la justice, devenu héréditaire comme celui des armes, recrutait une jeunesse ardente, forte du sentiment de son rang, et qui, bien qu’elle ne portât pas l’épée au côté, pouvait disputer le pavé aux cadets de famille des régimens de mousquetaires et de gendarmes.

La puissance donne nécessairement le goût et l’instinct de l’indépendance. Les parlemens furent, dans la première moitié du