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cette même Mlle  de Scudéry, devenue la Sapho du Marais, et pour habituées ordinaires, Mme  d’Aragonais, Mlle  Legendre, Mlle  Robineau, et quelques dames auteurs, telles que Mme  de Plabuisson, Mlle  de Serment, Mlle  De la Vigne, Mlle  Desjardins, depuis Mme  de Villedieu. Il y avait un ordre du jour, un appareil presque académique, un procès-verbal, des actes, une chronique, un secrétaire, qui était Pélisson, et un conservateur des archives de la société, Conrart. Conrart, en effet, nous a transmis une partie des papiers de la compagnie, entre autres une sorte de procès-verbal d’une des séances rédigé par Pélisson, la séance du 20 décembre 1653. La pièce est intitulée : La Journée des Madrigaux, fragment tiré des Chroniques du Samedi[1]. Et il y a une foule d’autres pièces du même genre, car ce qui dominait dans le salon de Mlle  de Scudéry, c’était la passion des petits vers et de la poésie légère. Les madrigaux, les sonnets, les stances, les élégies, les bouts rimes, les lettres mêlées de vers et de prose, surabondent dans les manuscrits de Conrart. Un assez grand nombre a paru successivement dans les recueils de Sercy, de Barbin, de Quinel, les libraires de la poésie agréable et des choses galantes ; mais il en reste tout autant d’inédit, et de quoi défrayer bien des almanachs des muses et des grâces.

Les samedis durèrent assez longtemps, ils eurent leur influence à la fois bonne et mauvaise, entretenant et répandant le goût des lettres, mais aussi l’altérant et l’abaissant. Ces réunions en firent naître d’autres, encore plus mêlées, qui décrièrent les précieuses bien avant Molière. On en a une preuve assurée dans un ouvrage aujourd’hui bien justement oublié[2], mais qui dans son temps fit assez de bruit, la Précieuse ou le Mystère de la Ruelle, par l’abbé de Pure, qui, après avoir fréquenté les précieuses, finit par s’en moquer, distinguant d’ailleurs avec soin les vraies des fausses, et faisant un très grand éloge de Mlle  de Scudéry et même de sa société. Cet ouvrage

  1. Manuscrits de Conrart, in-folio, t. V, p. 91 à 127. On lit dans la Journée des Madrigaux ce passage curieux que Molière semble avoir connu : « La poésie, passant l’antichambre, les salles et les gardes-robes même, descendit jusques aux offices. Un escuyer qui estoit bel esprit ou avoit volonté de l’estre, et qui avoit pris la nouvelle maladie de la cour, acheva un sonnet de bouts rimes sans suer que médiocrement, et un grand laquais fit pour le moins six douzaines de vers burlesques. » Avec cette note : « Il est effectivement vrai que les valets de la maison firent des vers ce jour-là. »
  2. Il a presque péri : nous n’en connaissons pas à Paris quatre ou cinq exemplaires, et la Bibliothèque nationale n’en possède pas un seul ; il n’est donc pas mal à propos d’en donner une très courte description. — La Prétieuse ou le Mystère de la Ruelle, dédiée à telle qui n’y pense pas ; première partie, chez Guillaume de Luyne, 1656, in-12. Le privilège est du 15 décembre 1656, sous ce titre : La Prétieuse ou les Mystères de la Ruelle, et en effet les autres parties portent les Mystères et non pas le Mystère. Le nom de l’abbé de Pure n’est pas sur le titre, mais il est dans le privilège : A. D. P. Vers la fin de cette première partie, p. 357, on trouve un éloge de Corneille assez bien fait et