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collision qui naissaient déjà du contact des territoires et de l’opposition des intérêts, il n’y avait qu’un bon moyen : c’était de placer à la tête de l’Allemagne un chef local qui la tînt éloignée de la grande lutte prête à éclater entre eux ; mais il fallait y employer la prévoyance, l’activité, le temps, l’argent qu’il avait consacrés jusque-là à sa propre élection. De pareils résultats ne sauraient être des pis-aller. Ils ne peuvent réussir qu’en étant préparés de longue main.

Aussi la lettre du roi de France, partie de Melun le 26 juin, arriva trop tard à Rüdesheim. Déjà le 24 le cardinal légat avait cessé de soutenir exclusivement sa candidature. Il avait reçu de nouvelles instructions du souverain pontife, auquel le roi catholique s’était plaint de l’intervention ouverte du saint-siège en faveur de François Ier. Charles avait chargé don Luis Carroz, son ambassadeur à la cour de Rome, de dire à Léon X qu’il ne saurait reculer sans honte dans la poursuite de l’empire, ni y échouer sans détriment pour son autorité comme pour sa réputation, et il l’avait fait supplier de changer de résolution à son égard. Rappelant à l’ambitieux Florentin les bienfaits que les Médicis avaient reçus de ses prédécesseurs, et rassurant le suzerain inquiet sur la trop grande puissance de son royal feudataire, il avait ajouté : « Sa béatitude peut être certaine que, après l’élection, nous nous gouvernerons de telle manière, en tout ce qui touche au saint-siège, et particulièrement à sa sainteté, à son état, à la maison de Médicis, qu’elle verra clairement que nos œuvres ont été et seront toujours d’un vrai fils et d’un fils très obéissant[1]. » Léon X, déjà ébranlé par la résistance des quatre électeurs assemblés à Wesel et intimidé par les manifestations des préférences germaniques, s’était rendu aux vœux du roi Charles. Il avait prescrit à son légat, s’il voyait prendre à l’élection un certain tour, de ne plus s’opposer au choix du roi de Naples, de peur que l’empereur futur ne devînt un ennemi du pape. Le légat avait dès lors signifié aux électeurs que le souverain pontife, dans des intentions de concorde et de paix, adhérerait à la nomination de ce prince, si leurs suffrages se portaient sur lui. La résignation du légat et le manque de foi du comte palatin, qui répondit à Bonnivet en lui conseillant de pourvoir à la sûreté de sa personne, ruinèrent les affaires de François Ier. L’entreprenant amiral, les jugeant désespérées, prit alors sur lui de renoncer à la candidature de son maître pour susciter celle d’un prince allemand, comme il l’aurait fait s’il avait reçu à temps la dépêche du 26 juin.

Bonnivet se rejeta d’abord sur le margrave de Brandebourg, qui ne put pas même obtenir la voix de l’archevêque de Mayence, son frère, ensuite sur l’électeur de Saxe, que sa réputation de sagesse, de droiture, de désintéressement, de patriotisme, rendait un candidat

  1. Lettre du roi catholique à don Luis Carroz, du 17 avril. Minute orig. Arch. de Lille.