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Elle avait toujours été beaucoup plus propre à de tendres amitiés qu’à la passion. Voiture le lui avait dit autrefois : « Sans mentir, madame, il faut que ceux qui tâchent à vous écrire du côté de la tendresse avouent que si vous n’êtes la plus aimante personne du monde, vous êtes au moins la plus obligeante. La vraie amitié ne sauroit avoir plus de douceur qu’il y en a dans vos paroles, et toutes les apparences d’affection sont si belles en vous, qu’il n’y a point d’honnête homme qui ne s’en pût contenter. » L’obligeance, c’est là le caractère que tous les auteurs donnent à Mme de Sablé. Elle avait une multitude d’amis, fort souvent opposés les uns aux autres, qu’elle ménageait et servait avec un soin égal. Tout le monde lui demandait des services ou des conseils. Insinuante et discrète, on s’épanchait volontiers avec elle ; elle portait aisément les secrets les plus contraires, et elle avait toujours mille affaires sur les bras.

À la fronde, tous ses amis se divisèrent. À l’exemple de Mlle de Rambouillet, alors Mme de Montausier, à l’exemple aussi de son frère le commandeur de Souvré, Mme de Sablé demeura invariablement attachée à la reine et à Mazarin, et, comme son frère et Mme de Montausier, elle tira de la cour d’assez grands avantages. Lenet[1] nous dit, sur la foi de Gourville, qu’elle eut 2, 000 écus de pension ; mais, en restant fidèle au roi, elle ne se brouilla avec aucun de ses amis, qui se jetèrent dans le parti opposé. La comtesse de Maure, dont le mari était le plus obstiné frondeur, ne cessa pas un moment d’être sa meilleure amie, et elle entretint constamment une correspondance affectueuse avec Mme de Longueville. Sans avoir le génie politique de la Palatine et sans être mêlée autant qu’elle aux agitations des partis. Mme de Sablé intervint toujours, comme la Palatine, pour adoucir les divisions et concilier les intérêts. C’est elle, selon Lenet, qui fît proposer en 1650 à Mme de Longueville, alors à Stenay, le mariage du prince de Conti avec une nièce du cardinal, et elle fit faire la même proposition au prince de Condé, pendant qu’il était en prison à Vincennes, par le chirurgien d’Alencé. Enfin, pour éteindre toutes les inimitiés, elle eut l’idée de marier les trois nièces de Mazarin au duc de Caudale, fils du duc d’Épernon, à un fils du duc de Bouillon, et à Marcillac, le fils du duc de La Rochefoucauld.

Aussi la guerre civile n’ôta pas un seul ami à Mme de Sablé, et, l’orage passé, elle put de nouveau les rassembler tous autour d’elle. Depuis longtemps, elle avait quitté le faubourg Saint-Honoré, où elle habitait d’abord, pour aller demeurer à la Place-Royale[2], avec son amie la comtesse de Maure. Là, ces deux dames, autrefois brillantes,

  1. Édition Michaud, 1ère partie, p. 317.
  2. Tallemant, t. II, p. 325 et p. 124.