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le vent est assez contraire pour détourner un mauvais navire[1]. Armerstorff s’en aperçut bien en abordant l’archevêque Albert. Il le trouva très mal disposé pour son maître. L’archevêque, qui venait d’apprendre, par un messager du margrave son frère, l’état avancé de leur négociation commune avec le roi ti, ès chrétien, lui dit résolument que les conditions arrêtées avec l’empereur défunt n’ayant pas été remplies au terme fixé, et les traités conclus à Augsbourg n’ayant pas été tenus secrets, tout était rompu entre eux et le roi catholique. En vain Armerstorff le supplia-t-il de reprendre ses anciens engagemens et lui offrit-il toutes les satisfactions au nom de son maître : l’archevêque lui répondit que son frère et lui avaient été avertis secrètement que rien de ce qui leur avait été promis ne serait exécuté après l’élection, que leurs pensions ne seraient pas payées, et que l’infante Catherine ne serait point donnée en mariage au fils du margrave. Il ajouta que le pape, le roi de France, le roi d’Angleterre s’étaient ligués pour empêcher le roi catholique de devenir empereur, que le pape défendrait aux électeurs spirituels et temporels de le nommer sous peine de désobéissance à l’église et d’excommunication, que d’ailleurs le roi très chrétien disposait déjà d’un très grand nombre de voix et avait même le dessein de se présenter en Allemagne avec une grosse armée, afin d’y être au besoin couronné par le souverain pontife; qu’en cet état de choses, il ne lui convenait point de combattre ses prétentions de peur d’exposer lui et l’église de Mayence au danger de son inimitié.

Armerstorff lui reprocha de se laisser abuser par les mensonges du parti contraire. Il lui annonça que les villes de Malines et d’Anvers garantiraient le paiement de la pension et des sommes qui lui avaient été promises; mais l’archevêque refusa cette garantie comme insuffisante. Alors Armerstorff, courroucé, jugeant tous ses efforts inutiles, lui demanda la permission de s’expliquer librement, et lui dit : « Je vois bien que nos adversaires vous ont fait des offres plus grandes que les nôtres; c’est pour cela que vous voulez vous dégager d’avec nous, mais ce sera un déshonneur pour vous et pour votre frère. Vous causerez un dommage irréparable à l’empire et à toute la nation allemande[2]. »

L’archevêque convint froidement qu’on lui avait en effet offert beaucoup plus de l’autre côté. Il avoua sans détour son avidité. Il dit qu’il voulait être sûr de son marché, et que d’ailleurs, quand le roi catholique lui donnerait plus que ne lui avait promis l’empereur, il

  1. Paul Armerstorff au roi catholique, le 25 fév. à Heidelberg. Le Glay, Négociations, etc., vol. Il, p. 281.
  2. Paul Armerstorff au roi catholique, 4 mars, à Offenbourg. — Le Glay, Négociations, etc., t. II, p. 287.