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À la douleur de cette perte cruelle succédèrent des chagrins tout différens. La fortune de Mme de Sablé était en assez mauvais état, on ne sait par quelles causes. Son mari avait laissé une succession très embarrassée, qui ne put être acceptée que sous bénéfice d’inventaire. Elle eut recours aux bons offices d’un de ses amis, René de Longueil[1], seigneur de Maisons, un des présidens au parlement de Paris, homme d’esprit, riche, influent dans sa compagnie, qui arrangea ses affaires, il est vrai, en étant aux Laval la terre de Sablé[2]. Tallemant prétend qu’à cette occasion Mme de Sablé et le président se brouillèrent, ce qu’il prend soin de démentir bien vite en nous apprenant qu’au blocus de Paris, en 1649, Mme de Sablé se sauva à Maisons[3]. Mme de Motteville laisse entendre[4] aussi que le crédit de la marquise ne fut pas inutile à Longueil en 1651 pour devenir chancelier de la reine-mère, et quelque temps surintendant des finances. Quant aux méchantes insinuations de Tallemant sur les relations de Mme de Sablé et du président Maisons en 1649, il suffit de répondre que Mme de Sablé avait alors cinquante ans : elle était agréable encore, mais la saison des amours était depuis longtemps passée.

    est quasi impossible que vous le puissiez croire. Ce n’estoit pas assez pour vous persuader que je suis indigne de vos bonnes grâces et de votre souvenir, que d’avoir manqué fort longtemps à vous écrire ; il falloit encore retarder quinze jours à me donner l’honneur de répondre à votre lettre. En vérité, madame, cela me fait paroître si coupable, que vers (Vers pour envers ; partout au XVIIe siècle, dans La Rochefoucault, dans Rets, dans Mme de Sévigné) tout autre que vers vous j’aimerois mieux l’estre en effet que d’entreprendre une chose si difficile qu’est celle de me justifier. Mais, madame, je me sens si innocente dans mon âme, et j’ay tant d’estime, de respect et d’affection pour vous, qu’il me semble que vous le devez connoître à cent lieues d’icy, encore que je ne vous en dise pas un mot. C’est ce qui me donne le courage de vous écrire à cette heure, mais non pas ce qui m’en a empêché si longtemps. J’ai commencé à faillir par force, ayant eu beaucoup de maux, et depuis je l’ai fait par honte, et je vous avoue que si je n’avois à cette heure la confiance que vous m’avez donnée en me rassurant, et celle que je tire de mes propres sentimens pour vous, je n’oserois jamais entreprendre de vous faire souvenir de moi ; mais, madame, je m’assure que vous oublierez tout, sur la protestation que je vous fais de ne me laisser plus endurcir en mes fautes, et de demeurer inviolablement, madame, votre, etc. »

  1. Il y en a plusieurs très beaux portraits gravés, de Mellan, de Morin d’après Champagne, et de Nauteuil en 1660.
  2. Un arrêt du parlement du 29 août 1648 adjugea la terre de Sablé au président de Maisons. Le 14 novembre 1652, Abel Servien, le célèbre diplomate, acquit le marquisat entier, et c’est de là qu’il prit le titre de marquis de Sablé. Torcy l’acheta en 1711, abattit l’ancienne demeure des Sablé et éleva à sa place un très beau château, arrivé par droit de succession à M. le marquis de Bougé, qui le possède aujourd’hui.
  3. Très belle terre avec un château magnifique à quelques lieues de Paris.
  4. Tome IV, p. 137. « La marquise de Sablé était mon amie : elle m’avait engagée dans les intérêts du nouveau surintendant. »