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L’empereur Maximilien, à l’imagination duquel rien ne coûtait, avait conçu un plan gigantesque, dont l’exécution aurait exigé plusieurs années, et qui, faisant remonter les nouveaux croisés d’occident en orient par l’Afrique, l’Europe et l’Asie, aurait conduit leurs bandes victorieuses jusqu’à Jérusalem, où elles se seraient rejointes, après avoir chassé devant elles les Turcs dépossédés de leurs anciennes et de leurs récentes conquêtes. Moins intempérant et plus judicieux que lui, son petit-fils demanda que l’expédition fût ajournée à l’année suivante, les princes chrétiens n’étant pas encore en mesure de l’entreprendre, et qu’en attendant la France, l’Espagne, le saint-siège, Venise, Florence, etc., défendissent l’Italie contre les Turcs. Les forces de l’Allemagne, de la Pologne, de la Bohème et de la Hongrie serviraient à les repousser, s’ils attaquaient la chrétienté du côté du Danube[1].

Afin de poursuivre ce projet et d’y faire entrer l’Allemagne, Léon X avait envoyé à Augsbourg, comme son légat auprès de l’empereur et de la diète, le dominicain Thomas de Vio, cardinal de Saint-Sixte. Le légat apporta à Maximilien l’épée et le chapeau bénits par le souverain pontife, et conjura la diète germanique de fournir son contingent dans la grande croisade qui servirait à délivrer l’Europe, à reprendre Constantinople, à conquérir même Jérusalem. Il fut donc proposé de lever un homme par cinquante propriétaires de maison, et d’appliquer à l’entretien de cette armée le dixième du revenu des gens d’église et le vingtième du revenu des laïques; mais la diète refusa cet impôt comme trop écrasant pour l’Allemagne, déjà épuisée par toutes les exactions ecclésiastiques. Mêlant le cri public à la parole depuis quelque temps tonnante de Luther, elle fit entendre ses plaintes sur les abus du pouvoir pontifical, l’extension des annates, le mépris des concordats, et elle prétendit que l’argent demandé ne serait pas plus employé à la guerre contre les Turcs que celui des indulgences ne l’était à la construction de l’église de Saint-Pierre. Agitée par un esprit nouveau de résistance, elle fit au nom des intérêts ce que Luther entreprenait au nom des croyances. Elle ne céda pas plus aux invitations du souverain pontife que Luther n’obéit aux injonctions du légat, devant lequel il comparut à Augsbourg, et la diète, défiante et indocile, mit un terme aux croisades au moment même où le moine convaincu et désobéissant commençait les révolutions. Elle se borna en effet à prescrire que, durant trois années, chaque personne admise à la communion payât au moins le dixième d’un florin, et que le produit de cette contribution pieuse fût

  1. Toutes les pièces relatives à ce projet de croisade, la plupart extraites des cartons des archives et des manuscrits de la Bibliothèque nat., sont imprimées dans le vol. Ier, p. 10 à 82, des Négociations de la France dans le Levant, publiées par M. E. Charrière, in-4o, 1848. — Collection des Documens inédits sur l’Histoire de France.