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entretiens élevés des savans, et avait dans le principal de ses châteaux une imprimerie à côté de ses canons[1].

À cette époque d’impuissance publique et de guerres privées, où il n’était guère possible d’obtenir justice qu’en se la rendant à soi-même, Franz de Sickingen s’était fait comme le justicier général et armé de la vaste contrée qu’arrosent la Moselle, le Rhin, le Necker, le Mein et la Lahn. La noblesse, accoutumée aux confédérations particulières, s’enrôlait avec empressement sous sa victorieuse bannière. Sickingen, à la tête d’armées de plus de quinze mille hommes, se chargeant des querelles des faibles et des droits des impuissans, avait tour à tour marché contre le comte Reinhard des Deux-Ponts, la ville impériale de Metz, le duc Antoine de Lorraine, le landgrave Philippe de Hesse, qu’il avait contraints à accorder des réparations ou réduits à souscrire des arrangemens. Mis au ban de l’empire pour avoir pillé les marchands de Worms et fait le siège de leur ville, il avait bravé la colère de Maximilien dans sa citadelle d’Ebernbourg, près de Creuznach, qui devint bientôt l’asile des lettres effrayées ou de la piété en péril, et que ses protégés reconnaissans appelèrent l’Hôtellerie de la Justice[2]. Cette forteresse s’élevait sur un rocher vaste et escarpé au pied duquel coulaient les eaux de l’Alseuz; ses abords étaient protégés par de nombreuses batteries de canon, et les voûtes intérieures en avaient été mises à l’épreuve de la bombe. Le puissant possesseur d’Ebernbourg, le chef valeureux de la noblesse secondaire de l’Allemagne, entra alors au service de François Ier. Le maréchal de Fleuranges, de la maison de La Marck, avec laquelle Sickingen était en étroite alliance, le conduisit au château d’Amboise, où ce prince lui fit le plus grand accueil. François Ier donna à Sickingen et aux douze gentilshommes de sa suite de magnifiques chaînes d’or, et il accorda ame pension considérable de 3,000 livres[3] au précieux auxiliaire qui pourrait plus tard, s’il en était besoin, lever une armée à l’appui de ses desseins.

Cependant le jeune roi catholique ne devait pas se laisser enlever ainsi La couronne impériale qu’avaient portée dans le XIIIe et dans le XIVe siècle Rodolphe de Habsbourg et Albert Ier, ses ancêtres paternels,

  1. La plupart des lettres véhémentes et des formidables pamphlets d’Ulrich de Hutten contre l’église romaine et pour la liberté germanique sont datés en 1520-1521 de la citadelle d’Ebernbourg. Opera Ulrichi ab Hutten, vol. III, IV.
  2. Ebernburg, ubi pretium est equis et armis, ubi Dei cultus, hominum cura et charitas, ubi virtutibus honor, ubi liberaliter liberi sunt viri, ubi pecuniam contemnunt homines et magni fiunt;... Ubi imiocentia propugnatur, viget probitas, fœdera valent, hoc illud est æquitatis receptaculum. Ulrichi ab Hutten Opera, etc., vol. IV, p. 84. — Gardesius dit : « Aix Eberburgeosis portus et asylum veritatis testium, ernditinais et depressæ libertatis vindicum. » Monumenta, t. Ier, p. 161.
  3. Mémoires de Fleuranges, vol. XVI, p. 319.