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principales îles de la Méditerranée, qui occupait par plusieurs points le littoral de l’Afrique, et pour le compte duquel se découvrait un monde nouveau au-delà de l’Océan, n’avait alors que dix-neuf ans. Sans annoncer entièrement ce qu’il fut depuis, il le laissait déjà pressentir. Son grand chambellan Guillaume de Croy, seigneur de Chièvres, qui l’avait élevé, le dirigeait encore; mais, aimant sa grandeur, il s’était appliqué à le rendre capable de la conserver et de l’accroître, lorsqu’il ne serait plus à côté de lui. Il l’avait formé de bonne heure à la connaissance et à la conduite de ses intérêts divers. Dès l’âge de quinze ans, Charles présidait tous les jours son conseil. Il y exposait lui-même le contenu des dépêches qui lui étaient remises aussitôt qu’elles arrivaient, fut-ce au milieu du sommeil de la nuit. Son conseil était devenu son école, les affaires lui avaient servi de livres, et la politique, où il devait se rendre si habile, avait été son principal enseignement.

L’ardeur qu’il ressentait dans son adolescence à la vue d’un beau chien de chasse ou d’un épieu pour le sanglier[1], la passion qui, lors du mariage de sa sœur, l’infante Isabelle, avec le roi Christiern II de Danemark, l’avait entraîné si fougueusement à la danse qu’il en était tombé malade[2], il savait maintenant les porter, en les contenant, des petites choses sur les grandes. Réfléchi comme celui qui décide, patient comme celui qui commande, il avait acquis une dignité précoce. Ayant un sens naturel supérieur, une finesse d’esprit pénétrante, une rare vigueur d’âme, il apprenait à juger, dans chaque situation et sur chaque chose, ce qu’il y avait à faire et comment il le fallait faire; il s’apprêtait à être le plus délié et le plus ferme politique de son temps, à regarder la fortune en face, sans s’enivrer de ses faveurs, sans se troubler de ses disgrâces, à ne s’étonner d’aucun événement, à se résoudre dans tous les périls. Il avait déjà des volontés impérieuses[3] et un aspect imposant. « Sa gravité est si grande, écrivait vers cette époque un écrivain contemporain, et son esprit tellement altier, qu’il semble tenir tout l’univers sous ses pieds[4]. »

  1. Lettre de Marguerite d’Autriche à l’empereur Maximilien, du 28 janvier 1511. Correspondance de l’empereur Maximilien, etc., publiée par M. Le Glay, Paris, 1839, t. Ier, p. 379.
  2. Lettre de Marguerite à Maximilien, du 14 juin 1514. Ibid., t. II, p. 261.
  3. En mars 1518, il disait à La Roche-Beaucourt, ambassadeur de François Ier auprès de lui, au sujet de Tournay, que ce prince semblait prêt à reprendre par les armes sur le roi d’Angleterre : « Je vous prie que l’on voye le moyen que cela ne passe plus oultre, car j’en seroye plus courroucé que de chose qui m’advint jamaiz. » Lettre de La Roche-Beaucourt, Bibliothèque nationale, mss. Bethune, 8407. F° 128.
  4. « Tanta est ejus gravitas et animi magnitudo ut habere sub pedibus universum præ se ferre videatur. » — Petri Martyris Anglerii Epistolœ, lib. XXXIII, ep. 643.