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Le commerce et l’industrie sont à coup sûr puissamment intéressés dans ces luttes et dans les mesures qui viennent les clore comme de périodiques bulletins de campagne. Il est un autre décret de ces derniers jours qui a trait à une institution plus spécialement destinée dans son principe à venir en aide à l’agriculture : c’est celui qui élève le taux de l’intérêt pour les prêts du crédit foncier, et qui prévoit même le cas où les opérations de cette banque cesseront de s’étendre à la France entière, pour faire place à des banques locales. Bien qu’il y eût une réelle injustice à juger une institution sur une expérience si courte, il est difficile de ne point voir dans le récent décret comme une halte dans la confiance qu’excitait l’organisation du crédit foncier. Quand on prévoit le cas d’inefficacité pour une institution, c’est qu’il s’est déjà élevé un doute au moins. Et à quoi cela peut-il tenir ? C’est qu’il ne suffit pas de créer une grande institution, de tracer des règlemens, de fixer des conditions et des formalités : il faut que toute cette organisation soit d’accord avec les habitudes du pays, s’harmonise avec ses besoins et sa situation. Or il est malheureusement vrai que les opérations du crédit foncier n’entrent qu’avec une difficulté extrême dans les habitudes des populations des campagnes, et ce n’est point par défaut de connaissances et d’intelhgence que ces populations n’y ont pas recours : c’est parce qu’elles ne le peuvent pas ; elles seraient souvent hors d’état de remplir les formalités exigées. Ce que nous disons n’est point pour mettre en doute le principe d’une institution de ce genre, c’est pour montrer qu’elle n’arrive pas en un jour à sa pleine et féconde réalisation ; il lui faut le temps et l’expérience pour auxiliaires ; elle se modifie sans cesse jusqu’au point où elle s’adapte aux besoins qu’elle est destinée à satisfaire, et alors seulement elle a toute sa valeur pratique. Le décret de 1853 n’est qu’une étape dans cette voie d’élaboration permanente ; il vient marquer une des phases du crédit foncier en France.

Histoire contemporaine, gouvernement intérieur, politique économique et commerciale, ce sont là quelques-unes des œuvres de cette année qui finit dans le domaine des intérêts positifs. Avec l’aube de 1854, va-t-il se lever un esprit nouveau dans la région des idées et de l’intelligence ? Et l’année 1853 elle-même, par quels signes s’est-elle manifestée sous ce rapport ? Par quelles œuvres, par quel mouvement juste et sain a-t-elle mérité une place dans l’histoire intellectuelle ? Ce qui est peut-être le plus sensible aujourd’hui dans les lettres, c’est précisément l’absence d’une impulsion forte et féconde. Bien des livres paraissent, bien des ouvrages distingués ont leur jour de succès et d’éclat : il manque l’inspiration commune, le lien des intelligences, la vue claire et nette du but où il faut tendre. De là cette dispersion de toutes les forces, de là cette indécision à travers laquelle tout s’essaie et rien ne s’achève. Il est une chose certaine cependant et qui est comme le point de départ d’un ordre nouveau : c’est la déroute définitive de ces orgueils d’il y a dix ans qui ont prétendu régénérer le roman et le drame, et qui disent parfois encore si risiblement : La littérature, c’est moi. Étrange illusion ! en trainant au grand jour leur vanité et leur besoin de paraître, ces esprits épuisés se croient bien vivans peut-être, et ils ne s’aperçoivent pas que littérairement ils ne comptent plus, s’ils ont jamais beaucoup compté. Février vint jeter sur eux sa pelletée de cendre, et ils ne s’en sont plus relevés ; ils sont restés dans les décombres d’une société qu’ils avaient contribué à corrompre. Ce n’est plus le jour ni