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général que dans celui de ces portions malheureuses de la grande famille, qu’elles fussent en partie déplacées et employées plus utilement ailleurs ? N’y gagnerait-on pas doublement, et dans les pays qu’elles quitteraient, et dans ceux où elles trouveraient de l’emploi ? N’y gagneraient-elles pas elles-mêmes de meilleurs salaires et une existence plus heureuse ? Il ne peut être question chez nous. Dieu merci, d’employer la force pour en venir là, ce ne pourrait être que le résultat d’une nécessité librement reconnue par les intéressés; mais ne pourrait-on y préparer d’avance les esprits ? Ces émigrations volontaires ne donneraient-elles pas la solution de bien des problèmes agricoles et sociaux ?

La solitude faite, tout est devenu facile dans les Highlands. Ces montagnes étaient tout à fait déboisées : on a attribué cette nudité à plusieurs causes, notamment aux vents de mer, mais tous les points de cette immense surface ne sont pas également battus par les tempêtes, le déboisement était dû en grande partie à la même cause qui a si complètement dépouillé l’Afrique française et qui détruit si rapidement dans nos propres montagnes toute espèce de terre végétale, — le parcours illimité des troupeaux. Dès que la population s’est retirée, on a fait au pâturage sa part et à la forêt la sienne : les chefs écossais, devenus grands propriétaires, ont entrepris de gigantesques plantations. Le dernier duc d’Athol a planté à lui seul 6,000 hectares de mélèzes. Cette magnifique forêt, qui a maintenant plus de soixante ans, a poussé avec une rare vigueur, elle couvre de son noir manteau les montagnes qui s’élèvent au nord du Tay, autour de Dunkeld, et ce n’est pas un des moindres ornemens de ce paysage grandiose; je ne connais que Bade et la Forêt-Noire qui puissent lui être comparés. Cette fois même je ne sais pas si la forêt plantée par l’homme ne l’emporte pas sur la forêt naturelle, le mélèze sur le sapin. Autant les bois sont déplacés dans les plaines, sur les terres cultivables qui pourraient porter des céréales, de la viande ou du vin, autant ils sont à leur place sur ces cimes escarpées, où rien ne peut venir; outre les richesses qu’ils produisent par eux-mêmes, ils défendent les vallées contre les ouragans, régularisent la chute des eaux, et, ce qui n’est jamais à dédaigner, ajoutent à la grandeur des sites; les cascades écumantes du Tay sont dix fois plus belles sous ces majestueux ombrages.

Enfin, et c’est peut-être le trait le plus curieux de cette savante exploitation du désert, on a su tirer un merveilleux parti du gibier qui l’habite; on y trouve naturellement la perdrix blanche, le coq de bruyère, toutes les variétés d’oiseaux aquatiques, et surtout une espèce particulière de perdrix, nommée grouses, qui s’y multiplient avec une extrême abondance; on y a propagé artificiellement le daim