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pas aussi le produit brut. La haute Écosse produit infiniment plus aujourd’hui qu’il y a un siècle, non-seulement pour la rente, ce qui est évident, mais en tout.

On a cité ce mot d’un vieux montagnard, qui résume sous une forme assez piquante les griefs de sa race : «Dans ma jeunesse, disait-il, un gentilhomme des Highlands mesurait son importance à la quantité d’hommes que ses domaines pouvaient nourrir; quelque temps après, la question fut de savoir combien on pouvait y nourrir de gros bétail; aujourd’hui, on en est venu à compter le nombre des moutons. Nos descendans se demanderont, je suppose, combien un domaine peut produire de rats et de souris. » Cette boutade est spirituelle sans doute, mais elle n’est pas juste. Il suffit d’un seul mot pour y répondre : la population des Highlands, qui était en 1750 de 300,000 âmes tout au plus, est de 600,000 aujourd’hui, et les profits comme les salaires de cette population se sont accrus beaucoup plus que les rentes, même dans les montagnes dépeuplées. Ces montagnes ne rapportent, après tout, à leurs propriétaires que 3 francs environ par hectare, les fermiers en retirent un revenu à peu près égal, et les simples bergers gagnent jusqu’à 1,000 francs par an, dix fois plus assurément que ne gagnaient leurs pères. Il en est de même de la population déplacée : elle mourait de faim dans l’intérieur, faute d’emploi rémunérateur; elle prospère sur la côte, où le travail productif ne manque pas. Considérée dans son ensemble, côtes et montagnes tout compris, cette région produit aujourd’hui 12 francs par hectare, dont la rente prend à peine le quart. C’est encore bien peu sans doute, mais c’est beaucoup en comparaison du passé. Tout ce peuple, si redouté jadis de ses voisins, a changé ses mœurs de bandit contre des mœurs laborieuses et régulières. Il n’y a donc pas eu, comme dit M. de Sismondi, économie de travail et de bonheur, mais augmentation notable de l’un et de l’autre.

Une révolution analogue a eu lieu en Angleterre, tous les documens historiques l’attestent, du temps de Henri VII, c’est-à-dire au moment où la fin de la guerre civile des deux roses rendit à ce royaume un peu d’ordre et de sécurité. L’organisation féodale, bonne pour la guerre, fut, alors aussi, incompatible avec la paix. Dès que les seigneurs anglais voulurent avoir moins d’hommes d’armes et plus de revenus, ils firent exactement, à la fin du XVe siècle, ce que les seigneurs écossais ont fait deux cents ans après : ils réduisirent tant qu’ils purent le nombre de leurs vassaux et les remplacèrent par des moutons. Pendant tout le cours du siècle suivant, cette dépopulation systématique fit des progrès, et, surtout après l’expulsion des ordres monastiques, elle donna naissance à cette multitude de vagabonds qui infestaient les campagnes et qui provoquèrent l’établissement de la