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durement, et se donne souvent tort dans la forme, quand elle a raison au fond. Les héritiers des grands fiefs écossais ont été évidemment trop loin en employant la force pour réduire leurs vassaux, il eût mieux valu attendre du temps, qui marche vite, que la transformation devînt volontaire. Quand même la contrainte eût été nécessaire, ce n’était pas à eux d’en user envers des hommes qui leur étaient dévoués jusqu’au fanatisme. A cela près, l’opération du déplacement a été bonne, utile, bien entendue, au double point de vue agricole et politique. Cinquante ans d’expérience l’ont prouvé surabondamment. S’il y a quelque chose à regretter, de l’aveu de tous les Écossais, c’est qu’elle n’ait pas été partout aussi complète que dans le Sutherland. Ceux des montagnards qui sont restés en trop grand nombre sur quelques points justifient, par leur misère, l’expulsion de leurs devanciers, et la force des choses les fera sans aucun doute disparaître peu à peu. En condamnant absolument ce qui s’était passé dans la haute Écosse, M. de Sismondi a fait plusieurs confusions : il a parlé du Sutherland comme d’un pays ordinaire, dans des conditions moyennes de fertilité et de civilisation; ce qu’il regardait comme un abus de la propriété lui a caché l’insuffisance de la production et le danger de la barbarie. Quand un sol et un climat sont trop improductifs pour entretenir convenablement une population humaine, est-il désirable qu’elle s’éloigne ? Que la terre appartienne à des propriétaires qui perçoivent, sous forme de rente, une partie des fruits, ou que tous les fruits soient partagés entre ceux qui la cultivent, peu importe; la proportion peut changer, mais la difficulté fondamentale reste la même. Quand les Highlanders auraient été reconnus propriétaires du sol natal, le déplacement de la plupart d’entre eux aurait toujours été nécessaire.

Cette première question posée et résolue, vient la seconde, celle de la rente. Dans de pareils pays, est-il utile, est-il légitime que la terre produise une rente ? Je n’hésite pas à répondre affirmativement. Les plus mauvais terrains ne font pas exception à la règle générale, toute terre doit produire un excédant sur les frais de production pour être véritablement utile à la communauté. Cet excédant, c’est la nourriture de ceux qui ne travaillent pas la terre, c’est-à-dire qui se livrent à l’industrie, au commerce, aux sciences, aux arts. Tout pays qui n’a pas dans sa culture de produit net est condamné à la barbarie. Bien que mus par un intérêt tout personnel, les chefs écossais ont été les instrumens de cette grande loi sociale qui fait des dégagemens de la rente le principe même de la civilisation; sans rente, point de division du travail, et sans division du travail, point de richesse, de bien-être, de développement intellectuel. Il est d’ailleurs fort rare qu’en augmentant le produit net, on n’augmente