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l’état agricole et social du moyen âge avait cessé depuis longtemps partout ailleurs, il se conservait encore dans ces retraites. Après l’expulsion définitive des Stuarts, tout changea. Les idées et les besoins d’une société nouvelle se firent jour jusque dans les gorges les plus reculées. La révolution commença par les chefs. Déjà, depuis un demi-siècle environ, les seigneurs écossais avaient appris quelque chose de ce qui se passait dans le reste du monde. Quelques-uns avaient vu la cour d’Angleterre, d’autres la cour de France. Ceux-là avaient rougi quelquefois de leur pauvreté proverbiale, et ne se consolaient que par le sentiment de leur puissance militaire de ce qui leur manquait en richesse, en politesse et en bien-être. Le cours naturel des choses, qui modifie sans cesse les institutions humaines, bonnes ou mauvaises, devait donner chaque jour plus de force à ces tendances secrètes. Privés de leur indépendance féodale, les chefs des Highlands cherchèrent à augmenter leurs revenus pour faire figure sous une autre forme, — et quand ils n’auraient pas pris des habitudes de luxe qui les y forçaient, ils y auraient été conduits par le seul mouvement de la civilisation naissante.

Or ils n’avaient qu’un moyen pour s’enrichir, la mise en valeur de leurs domaines, et ils rencontraient deux obstacles formidables, la rudesse du soi et du climat d’abord, la sauvagerie obstinée des habitans ensuite. Ils ne tardèrent pas à s’apercevoir que l’une de ces difficultés pouvait être vaincue, car il n’est pas de sol si ingrat qu’il ne puisse donner un produit net quelconque quand il est exploité avec art; mais les hommes étaient plus indomptables que la nature. Les simples vassaux n’avaient pas, pour augmenter leur travail, le même stimulant; la hutte paternelle leur suffisait, et ils ne concevaient pas de meilleure vie. Pourquoi d’ailleurs auraient-ils changé quelque chose à leurs habitudes ? pour faire sortir de terre, au prix de leurs sueurs, des fruits que d’autres auraient récoltés. Mieux valaient la fière pauvreté de leurs bruyères et leur antique oisiveté.

On aurait pu espérer de faire céder ces résistances, dont le temps avait triomphé dans tous les pays féodaux, s’il ne s’y était joint une difficulté particulière qui rendait le succès de l’entreprise absolument impossible. Quoique très peu nombreuse quant à la surface, puisque les Highlands ne comptaient que 250 à 300,000 habitans sur près de 4 millions d’hectares, la population était encore trop dense pour les facultés productives du sol. Quelles que fussent leurs habitudes de jeûne, les montagnards étaient décimés par des famines, et il leur arrivait souvent de saigner leurs vaches étiques pour se nourrir de leur sang. Quand même la population eût été aussi laborieuse qu’elle l’était peu, elle n’aurait pu réussir, en restant aussi nombreuse, qu’à se nourrir un peu mieux elle-même, sans produire