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désolées : presque pas d’arbres, à peine des bruyères, partout des rochers nus et escarpés, des torrens d’eau sous toutes les formes, lacs, cascades, ruisseaux écumans, immenses fondrières, des neiges et des pluies perpétuelles, les vents terribles de l’océan septentrional. Il semble que l’économie rurale ne puisse avoir rien à démêler avec un pareil pays. Les Highlands ont cependant eu leur part de la transformation qui s’est opérée en Écosse; cette part a même été la plus grande, car ces montagnes ont été le théâtre d’une des plus complètes révolutions de ce siècle si fécond en révolutions. Ce qui s’y est passé est tout à fait spécial et doit être raconté à part, d’autant plus que la légitimité et l’utilité d’un changement si radical ont été fort contestées. La polémique soulevée à ce sujet a laissé dans beaucoup d’esprits des idées fausses qu’il importe de rectifier. C’est dans les Highlands qu’a eu lieu la dépopulation systématique qui a fait tant de bruit en Europe il y a trente ans. M. de Sismondi, entre autres, dans des intentions assurément fort louables, mais peu éclairées, n’a pas peu contribué à soulever l’animadversion publique contre cette mesure, qui, pour avoir été trop violemment exécutée, n’en a pas moins eu d’excellens effets.

Les Highlands étaient autrefois, comme tous les pays de montagnes inaccessibles, une forteresse naturelle habitée par une population belliqueuse. Tout y était différent du reste du monde, le costume, la langue, la race, les mœurs. On n’y parlait que le gaélique, on n’y portait que le jupon court et le manteau national de laine grossière. La poésie et le roman ont immortalisé ce petit peuple, dont la physionomie était originale entre toutes. L’habitude de la guerre y avait créé une organisation sociale assez semblable à celle des tribus arabes. Chaque grande famille ou clan obéissait à un chef héréditaire. Les terres de chaque tribu étant possédées à peu près en commun, sous l’autorité du chef, chacun en prenait ce qu’il voulait, à la seule condition d’une faible redevance en nature et d’un service militaire personnel. Ces maigres champs ne portaient que de mauvaise avoine; des troupeaux de bœufs et de moutons, sauvages comme leurs maîtres, fournissaient un peu de laine, de fait et de viande. Pour le surplus, les montagnards vivaient de chasse, de pêche, et surtout de rapine. Ils descendaient de temps en temps de leurs rochers pour porter la dévastation dans les basses terres, et quand ils ne se réunissaient pas en grand nombre pour ces excursions, ils se partageaient en petites troupes dont chacune pillait pour son compte.

Jusqu’à la bataille de Culloden, en 1746, les chefs de clan des Highlands n’avaient songé qu’à augmenter le nombre de leurs soldats, leur importance ne se mesurant pas à leurs revenus, mais à la force des bandes armées qu’ils pouvaient mettre sur pied. Quand