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accoutumé du lieu et traiter même ce qu’elle a écrit de galimatias : Mme d’Attichy n’admet point ces explications ; elle renonce au voyage qu’elle avait projeté, et après le coup affreux qui venait de ruiner sa maison et de faire périr misérablement ses deux oncles, elle aime mieux rester seule avec la douleur qui l’oppresse que d’aller l’épancher dans un cœur qui n’est pas à elle tout entier. Il y a quelque chose non-seulement de la délicatesse raffinée de l’hôtel de Rambouillet, mais de l’humeur tendre et farouche de l’Alceste de Molière, dans le billet suivant trouvé par nous dans les papiers de Mme de Sablé. On y sent une âme ardente et pure qui, ne connaissant pas l’amour, en transporte involontairement les vivacités et les ombrages dans le seul sentiment qu’elle se permette. Vers la fin de sa vie, la belle marquise, devenue dévote, brilla, comme nous l’avons dit, toutes les lettres de sa jeunesse ; mais, à ce qu’il paraît, Elle s’était complu à garder celle-là comme un cher souvenir d’une rare et exquise amitié, et le docteur Valant y a mis cette petite note à notre usage : « Cette lettre a été écrite à Saint-Denis, au mois d’octobre, l’année de la mort de M. le maréchal de Marillac, et c’est à Sablé que Mme la marquise l’a reçue. » Nous la transcrivons fidèlement[1] :


« J’ai veu cette lettre où vous me mandez qu’il y a tant de galimathias, et je vous assure que je n’y en ai point treuvé du tout. Au contraire j’ai treuvé que toutes choses y sont très bien expliquées, et entre autres une qui l’est trop bien pour mon contentement, qui est que vous avez dit à Mme la marquise de Rambouillet que lorsque vous vous vouliez figurer une vie tout à fait heureuse pour vous, c’estoit de la passer toute seule avec Mme de Rambouillet. Vous savez si personne peut estre plus persuadée que moi de son mérite ; mais je vous advoue que cela n’a pas fait que je n’aye esté surprise de voir que vous eussiez peu avoir une pensée qui fait une si grande injure à nostre amitié. Car de croire que vous n’ayez dit cela à l’une et que vous ne l’ayez escrit à l’autre que pour leur faire un compliment agréable, j’estime trop vostre courage pour pouvoir imaginer que la complaisance vous fit trahir de cette sorte les sentimens de vostre cœur, surtout en un subject où je crois que vous auriez plus de raison de les cacher, puisqu’ils ne m’estoient pas favorables, l’affection que j’ai pour vous estant si fort dans la connoissance de tout le monde, et surtout de Mme de Rambouillet, que je doute si elle n’aura pas esté plus sensible au tort que vous me faites qu’à l’advantage que vous lui donnez. L’adventure que cette lettre me soit tombée entre les mains m’a bien ramentevé ces vers de Bertaut que


Malheureuse est l’ignorance.
Et plus malheureux le savoir.


Ayant perdu par ce moyen-là une confiance qui seule me rendoit la vie suportable, il n’y a pas moyen de songer à accomplir le voyage tant proposé ;

  1. Bibliothèque nationale. Portefeuilles de Valant, tome VII.