Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du sol. Le mouvement naturel qui, dans une société en progrès, doit écarter de la terre et porter vers d’autres industries le surcroît de population, est favorisé. Sans cette loi, la tendance à la division aurait pu être un danger pour l’Écosse, ce qui n’existe pas en Angleterre, où les mœurs et les conventions tendent plutôt vers l’excès contraire. Ainsi encore, dans la plupart des baux écossais, surtout quand il s’agit de fermes à céréales, la rente n’est pas une somme fixe, payable quoi qu’il arrive, mais qui varie en tout ou en partie d’après le prix courant du grain, c’est-à-dire qu’elle représente une redevance en nature à convertir en argent au prix du marché. De cette façon, le fermier est garanti contre les brusques variations dans le prix des denrées et dans la valeur de l’argent. Cette clause se répand beaucoup en Angleterre depuis la dernière crise; elle y est considérée comme un progrès sur la rente fixe. Ainsi enfin on supprime tout pot-de-vin, toute dépense extraordinaire à l’entrée d’un fermier, toute indemnité au fermier sortant, ce qu’on appelle en Angleterre le tenant right. Je traiterai bientôt avec détail cette grande question du tenant right à propos de l’Irlande; qu’il me suffise de dire ici qu’en Écosse l’opinion est fixée : on évite avec soin tout ce qui peut imposer une charge inutile au fermier entrant et diminuer le capital dont il dispose. L’époque annuelle du renouvellement des baux est généralement fixée à la Pentecôte, c’est-à-dire au moment le plus favorable pour que les semailles aient le temps de se faire dans de bonnes conditions.

Tout ce qui tient à la théorie des baux n’a été nulle part l’objet d’études aussi approfondies. On peut dire que, sous ce rapport, on est arrivé à la perfection. En Angleterre, on a pu se passer de cette recherche, le temps et la richesse générale ont tenu lieu de tout; mais en Écosse, où l’on avait besoin d’aller vite, et où l’on commençait avec peu de chose, il a bien fallu se préoccuper des conditions les plus favorables au développement de la production. Tout est dirigé vers un but unique, la formation du capital des fermiers. Ce n’est pas en Angleterre, c’est en Écosse qu’il faut aller chercher des modèles, quand on entreprend d’introduire le bail à ferme dans un pays où il n’existe pas, et de transformer des cultivateurs ignorans et pauvres, des métayers, des bordiers, des domestiques à gages, en fermiers intelligens et aisés. Le système écossais ne sera malheureusement pas du goût de tout le monde, car il repose sur une série de sacrifices de la part des propriétaires : longueur des baux, modération des rentes, paiement en nature ; mais il faut bien donner au cultivateur qui n’a rien les moyens de gagner quelque chose, et l’expérience a prouvé que ces sacrifices étaient parfaitement entendus. La rente est déjà, en moyenne, presque aussi élevée dans les bonnes parties de l’Écosse qu’en Angleterre, il y a même des points où elle