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de toits plats qui s’élèvent par degrés. De blanches toiles de coton enveloppent les piliers et dérobent aux regards les solives du plafond; des fleurs, des bouquets de mousse et des feuilles de cocotier se déroulent autour de l’édifice, de manière à former des devises. Des lampes et des lanternes de papier aux couleurs variées illuminent la salle, et les assistans regardent comme un acte méritoire de tenir à la main ou sur leur tête d’autres lumières allumées pendant que les religieux font la lecture. Les hommes sont uniformément vêtus de pièces de coton blanc; les femmes, parées avec soin, portent sur leurs longs cheveux noirs relevés en nattes des épingles d’argent et des ornemens d’or qui donnent un vif éclat à leurs physionomies expressives. De toutes parts flottent des bannières, des pavillons, des mouchoirs et des châles. Par intervalles, le tam-tam frémit comme un tonnerre lointain, la trompette éclate comme un cri de triomphe, la musique résonne en accens prolongés, et les mille voix des assistans se mêlent à ces bruits discordans, étranges, tandis que les lumières innombrables éclairent diversement ces hommes aux blanches tuniques et ces femmes parées comme des idoles.

Ces réunions ont tantôt l’apparence d’un pieux cénacle ou d’un meeting de méthodistes, tantôt l’aspect d’une réjouissance publique où tout un peuple s’abandonne à une joie expansive. Des religieux, au nombre de cent quelquefois, prennent place devant un grand pupitre à pivot qui tourne de manière à présenter le livre successivement à chaque lecteur. Divers épisodes viennent à propos varier la monotonie de la récitation. Par exemple, un personnage vêtu à la manière des princes anciens arrive dans l’assemblée : c’est un messager du Dévalôka (Monde des Dieux). Deux hérauts costumés en rois, la couronne sur la tête, le sabre au poing, l’accompagnent; derrière lui s’avancent deux ministres richement habillés, l’un monté sur un éléphant, l’autre sur un cheval. Pendant que le cortège marche d’un pas solennel, les religieux chantent des hymnes sur le ton d’une lente psalmodie, les décharges de mousqueterie se succèdent rapidement, et un feu d’artifice impatiemment attendu par toute l’assistance termine cette fête à la fois religieuse et théâtrale, où le monde des hommes et celui des êtres supérieurs se mêlent et confondent leur folie, dans un effroyable vacarme, à la lueur des feux de Bengale. Quelquefois, autour de la salle de lecture, les assistans tracent, au moyen de claies légères et de feuilles de cocotier, des labyrinthes à travers lesquels on les voit tous se précipiter à l’envi. C’est à qui se montrera le plus habile à trouver une issue, à qui saura le mieux se guider dans ce dédale dont les détours et les courbes forment un inextricable réseau. D’autres fois encore, on dessine sur le sol des lignes qui représentent les mondes des démons, des dieux, et enfin celui de Bouddha. Un mime ou danseur s’avance dans ces