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comfortables. En quelques jours, un village est sorti de terre. Les danseurs, les jongleurs et les mimes ne manquent jamais d’arriver à la cérémonie ; les femmes s’y rendent aussi, avides d’assister aux fêtes qui leur donnent l’occasion de se parer. Durant deux ou trois nuits, les danses et les pantomimes tiennent en éveil cette foule amusée qui rit et cause en mangeant des noix de bétel à la clarté des flambeaux ; mais si la pleine lune se montre dans le ciel, les lampes s’éteignent comme les étoiles devant la lumière du soleil, et toute cette bruyante population, pliant bagage, se disperse pour regagner ses foyers. La lune a le pouvoir terrible de détruire en un clin d’œil le mérite des adorations et des lectures dont elle est le témoin.


IV.

Jadis les reliques de Gôtama-Bouddha, conservées par la vénération des fidèles, recevaient les hommages des peuples de l’Inde. Sa tunique, son vase à recevoir les aumônes, reposaient dans les villes les plus fameuses, à Bénarès même, sous des coupoles richement décorées ; l’un de ces sanctuaires abritait (on ne sait pas dans quoi ni comment) l’ombre du divin réformateur. Depuis la restauration du brahmanisme dans l’Hindoustan, ces reliques ont disparu. Il faut aller à Ceylan pour voir ce qui reste de Gôtama : sa dent canine du côté gauche. Cette dent, déposée dans un petit temple attenant au palais des anciens rois de Kandy, est soigneusement cachée au fond de six boîtes mises les unes dans les autres ; celle de dessus, faite d’argent massif et longue de cinq ou six pieds, resplendit d’ornemens en or et de pierreries. La piété des fidèles a conservé, dans un livre intitulé Deladâwansa (la Généalogie de la Dent canine), toute l’histoire de cette relique et de ses aventures. Les portugais prétendent qu’elle fut détruite par Constantin de Bragance en 1560[1] ; les Kandyens répondent qu’ils la dérobèrent aux recherches des vainqueurs, et la tinrent cachée durant la domination des portugais et des Hollandais. En 1815, elle tomba entre les mains des Anglais. Trois ans plus tard,

  1. Dans son Histoire des Découvertes et Conquestes des Portugais, le père Lafltau dit en propres termes : « Entre les richesses qui furent enlevées, dans le sac de la ville de Jafanapatan, était une espèce de reliquaire d’or garni de rubis et d’autres pierres précieuses. On y conservait avec beaucoup de religion une dent d’un des saints ou dieux du pays, dont les fables qu’on en raconte out donné lieu de croire que c’était la dent d’un singe, et non pas celle d’un homme….. Plusieurs, peu scrupuleux, voulurent qu’on la vendit pour subvenir aux besoins pressans de l’état, et il y avait peu d’officiers qui n’ambitionnassent la commission de la porter, dans l’espérance de faire un gain immense, seulement à la montrer dans le voyage et à permettre qu’on en prît des empreintes. Dom Constantin, plus consciencieux, ayant fait examiner le cas, fit jeter la dent dans un mortier eu plein conseil, la fit réduire en poudre, qu’il fit consumer dans un brasier. » Tome IV, p. 232.