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fait entendre ces paroles : « Qui a besoin d’une robe ?» Celui des religieux qui peut se flatter d’avoir sur les épaules l’habit le plus râpé et le plus sillonné de reprises reçoit sa part de l’étoffe. Les membres du chapitre, assistés de deux laïques, coupent la toile de coton, la plongent dans la teinture jaune, et il faut que dans l’espace de soixante heures la robe soit teinte, cousue et finalement endossée par celui qui la réclame. Le possesseur de la robe neuve ne doit compter que sur lui-même pour la raccommoder tant bien que mal, et la mettre en état d’attendre le retour du mois des robes : c’est ainsi qu’on appelle l’époque à laquelle le monastère reçoit de l’assistance des fidèles l’offrande des pièces de coton ; mais que le moine bouddhiste se garde bien de serrer son aiguille dans une boîte faite d’ivoire, d’écaille, d’os, ou de toute autre matière provenant de la dépouille d’un être doué de vie! Il commettrait un gros péché, dont il aurait à faire l’aveu au supérieur, et de plus la boîte serait mise en morceaux.

Le religieux ne doit pas seulement manier l’aiguille comme un tailleur; le rasoir, qui fait partie de son trousseau, indique assez qu’il lui est prescrit de s’initier aux secrets de la profession de barbier. La loi ancienne prescrit aux bouddhistes retirés du monde de ne pas laisser croître leurs cheveux au-delà de deux pouces. Soit qu’il leur parût plus difficile de tailler leur chevelure que de la supprimer tout à fait, soit que la chaleur du climat rendît cette dernière pratique moins sujette aux inconvéniens qui résultent de la malpropreté, les religieux modernes ont grand soin de se raser la tête. — Nous avons dit quelle est l’idée profondément philosophique au nom de laquelle un filtre est placé dans toutes les cellules des couvens; il s’agit de retirer de l’eau les petits êtres vivans que l’on avalerait infailliblement sans cette précaution. Il va sans dire que le religieux s’abstient de manger toute espèce de chair. Son vœu de pauvreté lui défend encore de porter à sa bouche tout aliment qu’il n’aura pas reçu en aumône. Chaque matin, après les exercices au chœur et la méditation dans sa cellule, il part pour la quête, seul ou accompagné de son disciple. Le vase aux aumônes (alm’s bowl) est suspendu sur son épaule et recouvert par les plis de sa robe jaune. La tête nue, le front exposé aux ardeurs d’un soleil de feu, il s’en va pas à pas pour ne pas écraser les fourmis qui traversent le chemin, le regard fixe, pareil à un somnambule qui rêve les yeux ouverts. Arrivé devant la porte d’une maison, il ne dira pas : « J’ai faim ! » et moins encore : « Je veux du riz, des fruits ou du lait. » Il se contente de présenter son vase en allongeant la main. Là où on lui aura refusé l’aumône trois fois de suite, il ne retournera plus; là où on l’accueille avec empressement, il doit s’abstenir de vanter sa sainteté ou ses propres mérites pour attirer sur lui le respect des fidèles. Est-il permis au moine mendiant de jeter un regard