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et ce beau et brave Guy de Laval, d’abord appelé le chevalier de Bois-Dauphin, puis le marquis de Laval, qui périt tout jeune et déjà lieutenant-général au siège de Dunkerque en 1646.

Telle est la famille de la marquise de Sablé : elle y tenait parfaitement sa place.

Avec son rang et tous ses avantages, il est impossible qu’il n’y ait pas eu d’elle quelque portrait, et même plusieurs, de la main des meilleurs artistes du temps, soit quand elle était jeune fille, soit à son mariage, ou dans quelque autre circonstance importante de sa vie ; mais ces portraits ont péri dans le grand naufrage, ou, s’ils y ont échappé, ils sont perdus dans le coin de quelque château de province ou dans le grenier de quelque marchand. Quant à des portraits gravés de Mme  de Sablé, il est fort vraisemblable qu’il n’y en a jamais eu ; le père Lelong n’en indique aucun[1], et il n’y en a point au cabinet des estampes. Nous en sommes donc réduits à nous en rapporter sur sa personne au témoignage de Mme  de Motteville, qui l’avait vue à la cour dans leur jeunesse, et qui lui donne « une grande beauté[2]. »

Pour de l’esprit, on s’accorde à lui en reconnaître beaucoup, et Tallemant lui-même, qui ne voit dans les gens que leurs mauvais côtés et les peint en caricature, ne peut s’empêcher de convenir que « elle avait bien de l’esprit[3]. »

Mme  de Motteville se complaît à faire l’éloge de son caractère : « J’ai toujours reconnu, dit-elle, dans Mme  de Sablé beaucoup de lumière et de sincérité[4]. »

Voilà bien des moyens de plaire, et, comme on le pense bien, la jeune et belle marquise ne manqua pas d’adorateurs dans une cour à moitié italienne et à moitié espagnole, où la galanterie était à la mode ; mais Mme  de Sablé était une élève de l’Astrée : elle concevait l’amour de cette façon idéale et chevaleresque que Corneille a empruntée à l’Espagne, et elle contribua beaucoup à répandre le goût de ces grands sentimens à la fois passionnés et purs, ou ayant la prétention de l’être, dont se piquait Louis XIII, et qui régnèrent dans la littérature et dans le beau monde jusqu’à Louis XIV. « La marquise de Sablé, dit Mme  de Motteville[5], était une de celles dont la beauté faisait le plus de bruit quand la reine[6] vint en France. Mais, si

  1. Bibliothèque historique de la France, tome IV, Portraits gravés des François et Françoises illustres, etc.
  2. Mémoires de madame de Motteville, édit. d’Amsterdam, 1750, tome Ier, page 13.
  3. Tallemant, tome II, page 320.
  4. Mme  de Motteville, tome IV, page 24.
  5. Tome Ier, page 13.
  6. La reine Anne vint en France en 1615 ; cela prouve bien que Mme  de Sablé n’était pu née en 1608.